Noé

« Noé » dans « La Croix » du 08 avril 2014

Quand l’ex-Gladiator (Russel Crowe) s’allie, dans le rôle de Noé, avec une jolie princesse Pocahontas (Jennifer Connelly), parrainée par un Anthony Hopkins grossièrement grimé en Mathusalem, tous deux appuyés face au méchant Caïn par une troupe de néo-Goldorak recyclés, cela donne « Noé », ultime avatar des westerns bibliques relookés écolos, qui s’est attiré bien des critiques à travers le monde.

 « L’humanité doit finir » énonce, sentencieux, l’ex-Gladiator, tétanisé par un Dieu caché dans les nuages. Conducteur du chantier naval de l’Arche, il affrontera – sauvant ce qui peut l’être – le tsunami, noyé dans un déluge de type Moby Dick, mais sans Gregory Peck dans le rôle du capitaine Achab.

Entre Saga médiévale et western écolo

Hésitant entre la saga médiévale, le western écolo et le péplum biblique, « Noé » se noie dans le surjeu de ses acteurs autant que dans le vide de son scénario. Régulièrement, le serpent de la Genèse, plus vrai que nature, tente de détourner le héros pseudo-biblique de son devoir. Mais le vaillant docker veille sur son chargement et saura faire triompher le bien.

Le réalisateur, Darren Aronofsky, se flatte d’avoir collé au plus près des 87 versets du récit biblique (livre de la Genèse, chapitres 6 à 7). Ni catéchétique ni même fondamentaliste, son film est juste fade, arc-boutant en une immémoriale recette le bien contre le mal, l’issue étant forcément connue de tous. Seuls réchappent de ce déluge sombre et violent les magnifiques paysages islandais, propices, eux, à une véritable méditation.

Frédéric Mounier 

Le film « Noé » s’attire les foudres de chrétiens et de musulmans

(La Croix – 11 mars 2104)

Le film Noé est une adaptation hollywoodienne du récit du Déluge. La représentation de Noé est critiquée par des responsables chrétiens et musulmans.

Le film Noé, adaptation hollywoodienne du récit du Déluge par Daren Aronofsky, qui sortira en France mercredi 9 avril, est vivement critiqué par des responsables chrétiens américains et dans certains pays à majorité musulmane.

Noé, interprété par l’acteur Russell Crowe, est également un prophète dans l’islam et, à ce titre, ne doit pas être représenté. C’est du moins la conclusion de l’université Al-Azhar, la plus haute autorité islamique d’Égypte, qui a estimé que le film Noé était contraire à la charia, la loi islamique, et a appelé le comité de censure égyptien à interdire le film.

« Al-Azhar renouvelle son refus de toute projection représentant Allah, les messagers ainsi que les compagnons du prophète Mohammed », a déclaré l’autorité jeudi 6 mars. Le même jour, les comités de censure du Qatar, du Bahreïn et des Émirats arabes unis faisaient savoir aux studios Paramount qu’ils interdisaient également le film.

Images religieuses et chanson chrétienne

« Trop violent », « trop noir ». Les critiques pleuvent depuis plusieurs mois aux États-Unis provenant de milieux chrétiens, le plus souvent protestants. Certains à l’instar du créationniste Kenneth Alfred jugent que le film n’est pas fidèle au récit biblique.

Ces critiques perturbent la production : les studios Paramount, craignant de perdre à cause de cette polémique un large public, vient de tester une version alternative du film, révèle le quotidien britannique  The Guardian  mardi 11 mars. Cette nouvelle version commencerait avec un montage d’images religieuses et terminerait avec une chanson de rock chrétien. Et ce malgré l’opposition du réalisateur Darren Aronofsky (Requiem for a dream, Black Swan) à ces aménagements.

Dans une Lettre ouverte à Hollywood, une association de consommateurs croyants, majoritairement chrétiens, publiait une étude selon laquelle 98 % des personnes interrogées ne sont pas satisfaites de l’appropriation par Hollywood de récits religieux.

Tweet au Pape

De peur d’un flop commercial, Paramount avait organisé en septembre et octobre 2013 des projections tests auprès de publics religieux (juifs à New York et chrétiens en Arizona) qui n’ont pas été concluantes selon  The Hollywood Reporter .

Dès 2012, l’écrivain chrétien Brian Godawa avait déjà conclu après avoir lu le scénario qu’il s’attendait à un « gâchis de 150 millions de dollars, sans intérêt et pas fidèle à la Bible, et qui va ruiner pour des décennies la possibilité de faire un grand film captivant à partir de ce héros de la Bible », dans un texte posté sur son site le 29 octobre 2012.

La production a décidé, sur la demande d’une association chrétienne, d’ajouter aux supports de marketing du film la clarification suivante : « Ce film est inspiré de l’histoire de Noé. Si l’œuvre autorise quelques libertés artistiques, nous pensons qu’elle reste fidèle à l’essence, aux valeurs et à l’intégrité de cette histoire fondamentale pour des millions de croyants. L’histoire originelle de Noé peut être lue dans la Genèse. »

Dans la continuité de ces efforts, l’acteur Russell Crowe, oubliant que de nombreux détracteurs sont protestants, a envoyé un tweet au pape François, le 22 février 2014 : « Cher Saint-Père. Voulez-vous voir le film « Noé », de Darren Aronofsky ? Je suis sûr que vous allez le trouver fascinant. »

M. C. (avec AFP)

Fait religieux

Au commencement, Adam et Ève vivaient paisiblement dans le jardin d’Eden. Mais après avoir goûté au fruit de l’arbre, ils ont été chassés et sont venus s’installer sur Terre avec leurs enfants : Abel, Caïn et Seth – oui, il y en avait semble-t-il un troisième. Après le meurtre du premier par le second, l’humanité s’est divisée en deux. D’un côté, la lignée de Seth, respectueuse de la Nature avec un grand N, ne consommant que le strict nécessaire. De l’autre, celle de Caïn, instigatrice d’une civilisation guerrière et industrielle, qui a eu tôt fait de ruiner la Terre en surexploitant ses ressources – dont un précieux minerai, le tsohar, assez proche de l’acétylène utilisé par les spéléologues pour l’exploration des grottes.

Vous l’aurez compris : Noé, c’est un peu Avatar, mais sans les créatures bleues, ou Pocahontas mais sans l’arbre qui parle. Mais derrière la fable écolo-niaise, le propos est pourtant moins manichéen que ce à quoi les super productions de péplums hollywoodiens nous ont habitués. Ainsi du personnage de Noé, incarné par Russel Crowe, qui représente un peu la figure du premier fanatique religieux soumis au doute, perdu entre ses fantasmes et ce qu’il interprète comme les volontés du Ciel – avant d’être finalement touché par la grâce : les pleurs de deux nouveaux-nés.

Plus perturbant encore : cette idée très peu chrétienne que l’on ne devient vraiment un homme qu’en en tuant un autre. Ou cette citation : « l’avenir dépend de la volonté de l’homme, il ne se lit pas dans les cieux ». Cette phrase totalement conforme à la doctrine ultra-libérale en vigueur aux Etats-Unis aurait pu passer totalement inaperçue si elle n’avait pas été prononcée… par le méchant de l’histoire, doté du nom baroque de Tubal-Caïn. Pour les non-initiés, Tubal est en réalité le petit-fils de Noé, l’un des 24 enfants de son fils Japhet, mais aussi le premier homme à avoir vécu en Espagne et l’ancêtre mythique des Basques.

A l’instar d’un Christian Bale, – l’interprète de Batman et d’American Psycho -, Russel Crowe est ici dans la performance physique à l’américaine. Ses mutations physiques – cheveux longs, puis courts, puis blancs – sont là pour témoigner des évolutions du personnage principal, qui manque parfois cruellement de profondeur et de subtilité. Ce sont donc les personnages secondaires autour de lui qui ont le plus d’attrait.

Déjà aperçu dans Le Monde de Charlie, Logan Lehrman incarne ici Cham, l’enfant du milieu, « le mauvais fils », sorte de prolongation du malaise adolescent qu’il personnifiait déjà dans Charlie Kelmeckis. Son ambiguïté morale fait de lui l’un des seuls personnages vraiment complexes et intéressants – avec Jennifer Connelly, sa mère, un peu clichée mais excellemment interprétée.

En dépit du côté spectaculaire de certaines scènes, le résultat est au final décevant. L’impression d’ensemble qui se dégage est celle d’un téléfilm de deux heures et quart, au milieu duquel on s’ennuie finalement assez vite. Tous les effets de style qui caractérisent la patte Aronofsky et qui faisaient toute la beauté d’un film comme Requiem for a Dream, tombent ici à plat. La pomme de l’arbre dans le jardin d’Eden qui bat comme un coeur, avec bruits de mastication en arrière-fond, vous arrache un sourire. Et que dire du meurtre d’Abel en flashback-ombres chinoises ? Les intrigues secondaires – comme la présence d’anges déchus réincarnés en géants de pierre – n’apportent pas grand chose. Et il y a pire : le chien à écailles, démonstration un peu lourdingue que la Nature, par la main de l’Homme, s’est corrompue.

Une phrase tirée d’une interview du réalisateur est assez révélatrice du contexte plus global dans lequel s’inscrit Noé. Quand on demande à Aronofsky pourquoi selon lui, l’histoire des patriarches bibliques a traversé les siècles, il répond benoîtement que « ce sont les premiers super-héros ». Comme les studios hollywoodiens auront bientôt épuisé toute l’écurie Marvel et ses super pouvoirs, il ne reste plus aux Américains pour se convaincre de leur toute puissance qu’à piocher dans le fonds culturel biblique. La sortie prochaine d’un film sur Jésus en est la parfaite illustration. A quand un nouveau Moïse incarné non pas par Charlton Heston mais par Channing Tatum ou Justin Timberlake ?

L’Express

 

Noé prend l’eau (Eric Libiot le 09/04/2014)

 

Après Requiem for a Dream et Black Swan, Darren Aronofsky peine toujours à se hisser à la hauteur de pointures telles que Peter Jackson avec Noé

Noé prend l'eau

 

Même avec Russell Crowe dans le rôle-titre, le nouveau Aronofsky ne tient pas la route.

Au commencement était le Pi (1998), premier long-métrage, assez barré, et brillant, de Darren Aronofsky, où il est question d’un gars cherchant à comprendre le mystère des chiffres pour décrypter celui du monde. Puis vinrent Requiem for a Dream (2000), ou l’exploration de paradis artificiels en forme de grand film coup de poing, The Fountain (2006), délire ridicule sur l’immortalité, The Wrestler (2009), émouvante histoire de rédemption sur un catcheur adepte de la multiplication des pains, enfin Black Swan (2011), qui raconte, autour du Lac des cygnes, la lutte du bien et du mal, du blanc et du noir, de Dieu et du diable.

 

C’est dire si le religieux et la métaphysique travaillent le cinéaste au cortex. Il y répond avec plus ou moins de bonheur, mais avec un sens du foutraque relativement développé. Il fait autant dans le pompeux que dans la chronique sociale ou dans la série améliorée. Cinq films, et Darren Aronofsky reste, lui aussi, un mystère: réalisateur important ou petit metteur en scène parfois inspiré? Et voici qu’arrive Noé, son grand oeuvre, qu’il a porté à bout de bras, prêchant la bonne parole pour convaincre des producteurs réticents, publiant d’abord une bande dessinée afin de donner corps et âme à son projet, qui, comme son titre l’indique, déroule la vie d’un patriarche biblique à qui Dieu a demandé de construire une arche pour sauver les animaux du déluge; Noé étant le « père » de toute l’humanité, ce qui n’est quand même pas rien.

 

Finalement, Darren Aronofsky n’a pas encore trouvé sa voie, même si elle est plutôt glissante aujourd’hui. D’un côté, Noé est un barnum s’essayant au blockbuster spectaculaire, mais qui ratisse bas de gamme à cause d’un scénario qui voudrait jouer l’aventure heroic fantasy sans s’en donner le droit, puisqu’il est en terrain miné et religieux; d’autant qu’Aronofsky n’arrive pas à la cheville d’un Peter Jackson. De l’autre, c’est un kouglof darwino-créationniste, une performance qu’il faut noter, où la petite graine plantée par Adam et Eve, transformés en gros vers luisants, sonne le départ de l’évolution des espèces. C’est donc ennuyeux et idiot à tous les étages. Pas de miracle?

Le Monde des religions (Avril 2014)

« Noé » : un déluge d’émotions et de valeurs chrétiennes

Matthieu Stricot – publié le 08/04/2014

Dans sa mise en images du Déluge, Darren Aronofsky ne s’est pas noyé dans la marée des blockbusters hollywoodiens. Attentif au moindre détail de la Genèse, le réalisateur de Black Swan a tout de même conservé son style. Dans une atmosphère apocalyptique, un Noé tourmenté doit sauver ce qui reste de la Création en construisant une arche. Mais cette épopée spectaculaire est avant tout l’histoire intimiste d’une famille fidèle aux grandes valeurs chrétiennes. En salles le 9 avril.

 

Une arche immense, rectangulaire et construite en bois.  Le réalisateur Darren Aronofsky a voulu fabriquer une arche scrupuleusement identique aux écritures bibliques. La précision est telle que Mark Friedberg, le chef décorateur, a défini les dimensions de l’ouvrage à la coudée près ! Un bon préalable pour se plonger dans le mythe de Noé. C’est là toute la difficulté : comment retranscrire l’épopée biblique de Noé pour un public du XXIe siècle ?

De l’Eden à la mission divine

Avec des airs de mythologie antique, Darren Aronofsky et le coscénariste Ari Handel sont restés fidèles à la généalogie biblique. Le serpent et le péché originel introduisent le film pour revenir sur l’histoire d’Adam et Eve. Le couple a trois fils : Caïn, Abel et Seth. Mais Caïn tue son frère Abel et se détourne de son Créateur. Ses descendants développent une civilisation industrielle qui exploite un mystérieux minerai : le tzohar. L’héritier de cette lignée n’est autre que le roi Toubal-Caïn (interprété par Ray Winstone) « qui aiguisait tout soc de bronze et de fer » (Gn 4, 22). Le monde court à la désolation.

Toubal-Caïn souhaite éradiquer la lignée de Seth, les seuls à poursuivre la voie du Créateur. Cette lignée est incarnée par la famille de Noé (interprété par Russel Crowe). Le Créateur, voyant que « la méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre » (Gn 6, 5) choisit Noé, « homme juste et intègre au milieu des générations de son temps » (Gn 6, 9-10) pour construire une arche en vue du Déluge qu’il prépare pour détruire le monde tel qu’il est devenu.

Noé, un cocktail de force et de compassion

Pour l’ampleur de la tâche, il fallait un personnage hors-normes. Comme le Maximus de Gladiator, Noé dégage à la fois force et compassion. Puissant et brutal lorsqu’il affronte les légions de Tubal-Caïn, il est d’une douceur attendrissante en compagnie de ses enfants Sem, Cham et Japhet et de sa femme Naameh (Jennifer Connelly). Une scène émouvante le voit également consoler Ila (Emma Watson), une jeune femme qu’il a autrefois sauvée de la mort et recueillie au sein de sa famille.
Ila est l’un des personnages inventés par Darren Aronofsky. Il fallait bien faire preuve d’imagination pour combler un récit de la Genèse qui cache de nombreux mystères.

Miracles en série

D’abord : comment Noé est-il parvenu à réaliser un ouvrage aussi colossal ? Une tâche d’autant plus ardue dans un monde que le réalisateur a voulu désertique. Mais grâce à une graine du jardin d’Eden offerte par Mathusalem (Anthony Hopkins), Noé assiste à un miracle : l’eau jaillit et une vaste forêt surgit du sol.

Le bois ne manque pas. Pour la main d’œuvre, Noé obtient l’aide inattendue des Vigies. Ces géants, brièvement cités en tant que Nephilim dans la Genèse, sont des anges déchus. Le Créateur les a cloués sur Terre après que certains ont décidé d’aider les hommes dans leur frénésie industrielle. En aidant Noé, ils cherchent à retrouver grâce aux yeux du Seigneur. D’autres miracles suivront… 

Univers belliqueux et apocalyptique

Mais dans un univers réaliste, on imagine mal Noé réaliser son devoir sans encombre. Il est sous la menace des  hommes de Toubal-Caïn qui se rassemblent dans la forêt entourant l’Arche. Ceux-là sont prêts à tout pour survivre. Ils ne comptent pas périr dans la catastrophe. L’atmosphère se fait de plus en plus pesante. Le ciel s’assombrit. Quand débute le Déluge, les hommes commencent à s’entre-dévorer. Avant de lancer l’assaut sur l’Arche pour échapper à la mort. Une ambiance apocalyptique où les personnages s’interrogent sur les limites entre le Bien et le Mal.

Amour et châtiment

Le film pousse même plus loin que la Genèse sur la culpabilité des hommes. Dans la Genèse, Noé est clairement choisi par Dieu pour repeupler la Terre (Gn 9, 1). Mais le Noé d’ Aronofsky est beaucoup plus sombre. Il ne considère pas l’Humanité digne de clémence. Pour lui, le message est clair : Dieu veut mettre fin à l’Humanité et sa famille doit être la dernière. « Le temps de la pitié est passé. Le châtiment commence », prévient-il à son épouse.

 

Cette attitude le met en conflit avec sa propre famille. Naameh cherche à tempérer le jugement de son mari, notamment à l’encontre de ses enfants : « Leur seul désir est d’aimer. N’est-ce pas suffisant ? » Cet argument concentre le message de la Bible : l’Homme peut commettre des erreurs, mais s’il vit dans l’amour de son prochain, il a le droit au pardon.

L’histoire d’une famille éduquée dans l’amour et le respect de toutes les créations de Dieu, c’est ainsi que Darren Aronofsky et Ari Handel ont voulu raconter l’un des mythes fondateurs de l’Humanité. Le réalisateur n’a pas cédé à la facilité. Certes, il a mis les moyens matériels et techniques propres à Hollywood pour créer une apocalypse digne de ce nom. Mais il n’a pas oublié l’essentiel : des dialogues émouvants et forts de sens entre des acteurs qui tiennent leur personnage. Avec une mention particulière à Russell Crowe, qui incarne un Noé grave et charismatique digne des grands récits mythologiques.