Sébastien Milazzo

Fraternités laïques dominicaines

À 45 ans, le théologien et universitaire strasbourgeois Sébastien Milazzo a été élu à la tête des Fraternités laïques dominicaines, un réseau international de 128 000 laïcs, hommes et femmes, intégrés à l’Ordre de Saint-Dominique.

Catherine PIETTRE – DNA le 15 juin 2023

Dans sa pizzeria préférée près de la fac de théologie, il est connu pour son goût pour les blagues et les lasagnes, souvenir de ses origines italiennes. Pourtant, ce Monsieur Tout-le-monde jovial en chemisette et veston est d’abord un médiéviste reconnu, spécialiste de Saint Thomas d’Aquin et d’ Albert le Grand (1200-1280) , auquel il a consacré une thèse en théologie et philosophie. Surtout, Sébastien Milazzo a un lien indéfectible avec l’église des Dominicains toute proche : lui aussi fait partie de l’Ordre des Prêcheurs, fondé par Saint Dominique au XIIIe siècle. Sans être un religieux.

« L’ordre dominicain est né dans une auberge »

« Comme les frères, les moniales et les religieuses apostoliques, non cloîtrées, les laïcs dominicains promettent de suivre le Christ selon le charisme de Saint Dominique », explique-t-il. Bref, de vivre l’Évangile « verbo et exemplo », par la parole et l’exemple, qu’on soit aumônier, médecin, homme politique, ou, comme lui, enseignant. « Ce n’est pas que de la parlote ! C’est une manière d’être, hospitalière et conviviale. L’ordre dominicain est né dans une auberge : Saint Dominique avait entamé une discussion passionnante avec l’aubergiste cathare [un mouvement dissident vis-à-vis de Rome apparu au XIIIe siècle N.D.L.R]. Au petit matin, l’aubergiste était converti… »

Mais l’universitaire strasbourgeois n’est pas qu’un simple « frère » laïc : en février, il a été élu pour trois ans coordinateur international des Fraternités laïques dominicaines, après en avoir été nommé président au niveau européen. Soit une famille de près de 128 000 hommes et femmes dévoués à l’Ordre des Prêcheurs sur les cinq continents. Bien plus que ses quelques milliers de religieux et de religieuses. « Dans certains pays, comme la Bulgarie et le Vietnam, il n’y a plus que des dominicains laïcs ! Pendant la guerre froide, ils ont permis d’assurer une continuité de la présence catholique dans les pays de l’Est. »

Une mise en réseau des causes difficiles

Sébastien Milazzo revient tout juste de l’église Sainte-Sabine à Rome, où siège le gouvernement de l’Ordre, présidé par le frère philippin Gérard Francisco Timoner. Au menu, la persécution des chrétiens de Birmanie ou du Nigeria, la destruction de l’Amazonie, la guerre en Ukraine, qui met sous pression les catholiques russes… « Nous mettons en réseau les causes difficiles », résume-t-il. Lors d’une réunion à Vilnius, en Lituanie, les dominicains russes n’ont pas pu se joindre aux autres sur Zoom, se sachant sous l’œil de Moscou. « Il faudrait pourtant préparer la paix pendant la guerre. »

Les Dominicains ont leurs icônes. Côté religieux, Saint-Thomas d’Aquin, bien sûr, mais aussi le missionnaire espagnol Bartolomé de Las Casas (XVIe siècle), un des premiers anticolonialistes de l’histoire, l’évêque d’Oran Pierre Claverie , apôtre du dialogue islamo-chrétien, assassiné en 1996 pendant la guerre civile algérienne, l’islamologue Serge de Beaurecueil, qui aida les enfants de rue à Kaboul… Côté laïc, l’Italie a vu naître Catherine de Sienne « une femme politique, qui a ramené le pape d’Avignon à Rome », Pier Giorgio Frassati (1901-1925), ange gardien des clochards de Turin, le maire de Florence Giorgio La Pira, « qui voulait faire de sa ville la capitale de la paix pendant la guerre froide », ou le président du Conseil italien Aldo Moro, assassiné par les Brigades rouges en 1978, ressuscité par la récente série télévisée Esterno Notte.

« Je n’ai jamais rencontré une telle diversité sociale ailleurs »

« Chez nous, il y a des agriculteurs, des ouvriers, des artistes, des scientifiques, des universitaires… La présidente de la fondation Nobel est une laïque dominicaine prof de cinéma à Stockholm ! Je n’ai jamais rencontré une telle diversité sociale ailleurs, ni dans une association ni dans un parti », assure Sébastien Milazzo, qui a milité au sein de l’UMP. « J’y voyais un moyen de m’engager pour la justice sociale. »

Sa vocation vient de loin. Grandi en Moselle dans une famille de métallurgistes d’origine sicilienne par son père, orphelin de mère tôt, il est « le premier Milazzo à avoir fait des études universitaires », après avoir été, de son propre aveu, un élève médiocre et dyslexique. « Même aujourd’hui, je fais des fautes de français ! » Adolescent, il écoute Rachmaninov et de la musique punk « en chemisette Vichy et petits mocassins », joue de la viole de gambe et forme « un fan-club de De Gaulle » avec ses copains du vénérable lycée Jean XXIII à Montigny-lès-Metz.

Novice à 19 ans

À 15 ans, il prend le chemin de l’église dominicaine de Strasbourg , où le reçoit le père-maître chargé des novices. « Il m’a écouté en prenant des notes et en me vouvoyant. Quand il a réalisé mon âge, il a posé le calepin et m’a dit : « Tu as tout le temps, passe ton bac d’abord!»

Il revient à la charge à 19 ans. « J’ai prononcé des vœux temporaires. Un CDD que je n’ai pas renouvelé », plaisante-t-il. Mais, des années et deux enfants plus tard, un accident de voiture le fait basculer : « Quand j’ai vu la rambarde de l’autoroute à quelques centimètres de mon visage, j’ai compris que j’étais vraiment mortel. Cela a été le déclic pour vivre la vie dominicaine. » Sans embrasser la vie consacrée, mais en enseignant la théologie systématique, après avoir été prof de religion dans le secondaire. « Il nous aide beaucoup à mieux faire comprendre au grand public Saint-Thomas d’Aquin, notre référence », assure Jean-Baptiste Régis, prieur des Dominicains à Strasbourg. « Sébastien est un enthousiaste qui porte en lui la joie dominicaine », loue le frère Nicolas Tixier, à la tête de la province de France, une des deux subdivisions historiques de l’Ordre dans l’Hexagone. Il s’inscrit aussi, à des siècles de distance, dans une certaine tradition dominicaine rhénane , de Maître Eckhart à Jean Tauler en passant par les sœurs d’Unterlinden.