À la pointe du progrès
Les journaux nationaux, comme « La Croix », ou « La Vie » relaient les réactions alsaciennes quant au sondage de l’IFOP sur le concordat napoléonien resté en vigueur sur trois départements français.
Christian Albecker, Catherine Stampfler, Bernard Xibaut, Eric Sander apportent un point de vue qui vaut le détour : « Non seulement nous ne sommes pas rétrogrades, mais nous sommes à la pointe du progrès ! »
Mgr Luc Ravel enfonce le clou en posant un regard apaisé sur une erreur d’appréciation favorisant une division qui n’a pas lieu d’être. Suivez ses arguments.
En Alsace, le débat sur le concordat resurgit
La fédération d’origine turque portant un projet de mosquée controversée à Strasbourg a retiré, jeudi 15 avril, sa demande de subvention municipale. Cette polémique, rapidement devenue nationale, a généré des débats autour du concordat. « La Croix » a rencontré des Alsaciens divisés sur ce sujet.
Mélinée Le Priol (à Strasbourg), le 16/04/2021
Suite et fin de quatre semaines de controverse. La mosquée Eyyub sultan ne bénéficiera finalement pas des 2,5 millions d’euros de subvention dont la municipalité écologiste de Strasbourg avait voté le « principe » le 22 mars : jeudi 15 avril, Milli Görüs, la fédération d’origine turque porteuse du projet, a retiré sa demande. En l’annonçant aux Strasbourgeois dans une lettre ouverte, la maire Jeanne Barseghian les a informés qu’elle allait engager un « travail constructif » sur les procédures d’attribution de financement aux cultes : « Je suis attentive aux nombreuses questions qui entourent les relations spécifiques aux cultes sur notre territoire », a assuré la maire écologiste entrée en fonction en juin.
Ces « nombreuses questions », le Grand Orient de France (GODF) les a soulevées en commandant à l’Ifop un sondage publié le 7 avril. Outre le rejet de cette subvention par 81 % des Alsaciens-Mosellans, l’étude indiquait – et cela en avait surpris plus d’un – qu’ils étaient désormais plus de la moitié (52 %) à souhaiter l’abrogation du concordat. Bien qu’aboli en France en 1905, ce régime instauré par Napoléon en 1801 perdure en Alsace et en Moselle, provinces allemandes jusqu’en 1918. Selon le concordat, l’État reconnaît les cultes catholique, réformé, luthérien et israélite, et rémunère leurs ministres du culte. Les collectivités peuvent aussi accorder des aides aux cultes non statutaires, notamment musulman : depuis 1999, la mairie de Strasbourg finance 10 % du coût de construction des lieux de culte qui la sollicitent, après délibération.
Des cours de religion moins plébiscités
« Faire un sondage sur le concordat en pleine polémique autour de cette mosquée, c’est critiquable », s’agace Christian Albecker, président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), très attaché à un concordat garant de relations « apaisées » entre les différents cultes et avec les pouvoirs publics. Comme la plupart des responsables religieux, il ne voit pas tant, dans les résultats du sondage, une remise en cause du « consensus » autour du droit local (qui comprend, outre le concordat, un régime de sécurité sociale avantageux, ou encore deux jours fériés supplémentaires) que l’illustration d’une inquiétude quant à l’islam politique et d’une érosionde la pratique religieuse. L’Alsace ne compte plus que 5 % de catholiques pratiquants (2 % au niveau national).
Cette sécularisation se ressent notamment dans la baisse de la participation aux cours de religion à l’école, une des spécificités du concordat. De 80 % dans les années 1990, elle est passée à 50 % en primaire. Dans le secondaire, où cette heure ne fait pas partie du volume d’enseignement hebdomadaire, c’est encore bien moins. « Difficile d’attirer des élèves à un cours souvent placé à midi ou en fin de journée », regrette Catherine Stampfler, qui enseigne la religion dans un collège du sud de l’Alsace, où elle constate que la plupart des parents n’ont eux-mêmes plus de culture religieuse. « Quand les attentats ou la pédophilie dans l’Église s’invitent dans l’actualité, le mot « religion » devient vite un repoussoir », observe-t-elle, précisant que les effectifs se maintiennent davantage en zone rurale.
Particularisme alsacien
Les opposants au concordat, eux, dénoncent une question « verrouillée politiquement » : outre La France insoumise, tous les partis plaident en effet, localement, pour son maintien. « Nos élus instrumentalisent le particularisme alsacien à des fins électorales », fustige Gauvain End, cosecrétaire départemental du syndicat FSU dans le Bas-Rhin. Pour le père Bernard Xibaut, chancelier du diocèse de Strasbourg, ce particularisme est pourtant bien réel. « Les raisons pour lesquelles la loi de 1905 a été adoptée en France sont moins valables en Alsace : le catholicisme n’y est pas monopolistique, du fait de l’importance du protestantisme, et les clercs ne sont pas considérés comme étant trop présents dans la vie publique. »
« Non seulement nous ne sommes pas rétrogrades, mais nous sommes à la pointe du progrès ! », estime pour sa part Eric Sander, secrétaire général de l’Institut du droit local, qui plaide pour que chaque territoire cultive son identité, à l’heure où « la centralisation a prouvé son inefficacité ».
Cette question embarrasse la communauté musulmane, non présente en Alsace-Moselle lors de la signature du concordat et dont les ministres du culte ne sont donc pas rémunérés par l’État. Consulté en 2013, le conseil constitutionnel a toutefois estimé que, comme exception juridique issue d’une histoire spécifique, le concordat ne pouvait plus être étendu à d’autres cultes.