Mort de Benoît XVI

Le bilan de son pontificat

Vatican II, encycliques, œcuménisme… Analyse 

Durant ses huit années de pontificat, Benoît XVI, mort à l’âge de 95 ans ce samedi 31 décembre 2022, mit en œuvre son programme basé sur « trois missions essentielles » : veiller à l’unité des catholiques, promouvoir l’œcuménisme, le dialogue interreligieux, et « être une voix éthique et religieuse ».

► L’héritage de Vatican II

Dès la fin des années 1960, Joseph Ratzinger, qui a participé au Concile comme expert, ne cachait pas son inquiétude devant certaines évolutions au sein du catholicisme, y voyant les conséquences d’une interprétation erronée de Vatican II. Une position que, devenu pape, il continuera de tenir. Dans un fameux discours du 22 décembre 2005 à la Curie, il explique que les difficultés de l’Église venaient du conflit entre une lecture du Concile en termes de rupture et une autre en termes de « renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église ».À lire aussi

Pour Benoît XVI, Vatican II n’a opéré aucun « tournant copernicien », aucune rupture avec les enseignements des papes et des conciles antérieurs. Les textes conciliaires ne peuvent être compris que dans le contexte de l’ensemble de la tradition de l’Église. Et là où le Concile a été reçu selon cette règle d’interprétation, « une nouvelle vie s’est développée et des fruits nouveaux ont mûri ».

► Ses encycliques et ses livres

Benoît XVI a signé trois encycliques au cours de son pontificat. Mêlant philosophie et théologie, Deus caritas est (2005) examine l’amour selon ses trois dimensions : éros (amour de plaisir), philia (amour d’amitié), agapè (amour désintéressé). Une société, aussi juste soit-elle, a toujours besoin de la pratique de l’amour et de la compassion, y affirme le pape. Spe salvi (2007) est consacrée à l’espérance offerte par le Christ, qui est une réponse sûre aux attentes humaines souvent déçues. Caritas in veritate (2009), qui paraît dans un contexte de crise économique mondiale, établit les critères d’une authentique charité. Cette encyclique enrichit l’enseignement social de l’Église, notamment sur la place du don dans l’économie.

Fait rare, pendant son pontificat, le pape a poursuivi son travail théologique personnel, publiant sous le double nom d’auteur Joseph Ratzinger/Benoît XVI plusieurs volumes consacrés à Jésus de Nazareth. Des pages qui n’engagent pas le magistère : « Chacun est donc libre de me contredire », peut-on lire dans son introduction.

► L’œcuménisme

À l’annonce de l’élection du cardinal Joseph Ratzinger sur le Siège de Pierre en 2005, les milieux œcuméniques se sont interrogés : l’auteur de la déclaration Dominus Iesus (septembre 2000), qui affirme que les Églises nées de la Réforme « ne sont pas des Églises au sens propre du mot », allait-il poursuivre les efforts de rapprochement engagés par ses prédécesseurs depuis Vatican II ? Pourtant, dès le début de son pontificat, Benoît XVI a clairement affirmé sa volonté de « faire tout ce qui est en son pouvoir pour faire avancer la cause fondamentale de l’œcuménisme ». De fait, il poursuivit les relations développées par ses prédécesseurs.

C’est à l’égard des orthodoxes qu’il manifeste le plus de proximité. Il rencontre à plusieurs reprises le patriarche Bartholomée, soulignant, en 2006, la proximité théologique de l’Église catholique avec l’Église orthodoxe sur de nombreux points. Il reçoit également des représentants des confessions issues de la Réforme : anglicans et protestants (méthodistes, luthériens et baptistes…). En théologien rigoureux, il a aussi encouragé les Églises à s’interroger sur les buts de leur dialogue, qui pour être authentique ne saurait s’accommoder de « bons sentiments ».

► Le dialogue interreligieux

En 2006, le pape Benoît prononce un discours à l’université de Ratisbonne sur le thème « Foi, raison et université ». Il commence son intervention en faisant référence à une polémique, vers 1391, entre un empereur byzantin et un savant persan au sujet de la violence en matière de religion, citation mettant en cause le prophète Mohammed. Le monde musulman réagit vivement.

Il y a dix ans éclatait la « controverse » de Ratisbonne

Malgré toutes ses interventions fondées sur la conviction que le dialogue interreligieux est une « nécessité vitale », il ne réussira pas à rétablir des relations de confiance avec les représentants de l’islam. Il multiplie pourtant les gestes comme ce temps de recueillement à la Mosquée bleue lors de sa visite à Istanbul en novembre 2006.

Les relations avec le judaïsme sont quant à elles restées assez bonnes, même si la perspective d’une béatification de Pie XII a suscité certaines réserves dans les milieux juifs, tout comme la révision en 2008 des termes de la prière du Vendredi saint dans le Missel romain de 1962.

On retiendra du pontificat de Benoît XVI qu’il a placé le dialogue interreligieux dans le contexte plus large du dialogue entre les cultures. Ce qu’il a manifesté par exemple en invitant des personnalités non croyantes à venir à Assise pour le 25e anniversaire de la rencontre interreligieuse organisée pour la première fois dans cette ville par Jean-Paul II en 1986.

► La pédocriminalité

Au début des années 2000, des révélations venues des États-Unis et d’Irlande relatent des crimes sexuels commis par des prêtres catholiques sur des milliers d’enfants dans les années 1960 à 1980. La hiérarchie est alors accusée d’avoir souvent protégé les coupables en les mutant, pour préserver la bonne réputation de l’institution. Le Vatican n’est pas épargné par les critiques. Le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, durcit les mesures disciplinaires à l’encontre des prêtres pédophiles.

Élu pape, il donne des consignes de tolérance zéro. « Un pédophile ne peut pas être prêtre », déclare-t-il dans l’avion qui le mène à Washington, le 15 avril 2008. Il rencontre des victimes abusées sexuellement par des prêtres et n’hésite pas à mettre en cause collectivement les épiscopats des pays concernés. « La plus grande persécution contre l’Église ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. Nous l’avons constaté de façon réellement terrifiante », déclare-t-il en mai 2010, lors de son voyage au Portugal.

Si Benoît XVI a impulsé la politique de tolérance zéro, cet homme doux a manqué d’autorité et d’un entourage solide pour aller jusqu’au bout de la réforme. Il se limite aussi à une analyse morale et spirituelle de la crise, conséquence du relativisme éthique postérieur à Mai 68, sans percevoir à quel point la crise est systémique ni combien elle appelle une réforme de gouvernance.


Réseau thématique « ere.alsace »

Février 2013
Bonne retraite Benoît XVI
https://ere.alsace/bonne-retraite-benoit-xvi/

Mars 2013
De la renonciation à l’élection
https://ere.alsace/de-la-renonciation-a-lelection/

Mars 2013
Araignée, libellule ou papillon
Le nom des papes
https://ere.alsace/le-nom-du-prochain-pape/

Mars 2013
Habemus papam
https://ere.alsace/habemus-papam/

Mai 2022
Les deux papes
Un film à voir
Les deux papes est un dialogue humain et théologique passionnant entre deux hommes que tout semble opposer de prime abord.
https://ere.alsace/les-deux-papes/

Benoît XVI a permis aux catholiques de faire leur deuil de toute illusion dominatrice

Jean-Pierre Denis – La Croix du 01 janvier 2023

Pope Benedict XVI greets the crowd at Blonie Park, 27 May 2006 in Krakow. The Pontiff arrived 25 May in Warsaw on a four-day visit to Poland that will take him to key places in the life and papacy of his predecessor, John Paul II, as well as to the former Nazi death camp at Auschwitz-Birkenau. – ALBERTO PIZZOLI/AFP

Pour Jean-Pierre Denis, Benoît XVI fut un « mécontemporain », vivant son époque comme une véritable épreuve. Il laissera à la postérité quelques diagnostics brillants, du danger du relativisme au nécessaire équilibre entre foi et raison. Jean-Pierre Denis Écrivain, journaliste et directeur du développement éditorial chez Bayard Crédits photo Stéphane Grangier

Le dernier grand intellectuel européen du XXe siècle vient de mourir. Intellectuel, le mot ne fera pas débat. On ne saurait qualifier autrement cet universitaire égaré en papauté. Benoît XVI était fait pour les notes de bas de page, pas pour la communication planétaire. À rebours d’un magistère d’allure accessible, mais se révélant filandreux et indigeste, ses idées étaient d’abord ardues, ensuite limpides. Il fallait le suivre le crayon à la main. On ne le lisait pas, on le relisait. On se sentait enfin un peu moins bête. Sa pensée était toujours un acte de foi dans la pensée.

Européen ? Allemand francophile et polyglotte, bras droit du pape polonais, il était de l’­Ancien Monde par toute sa culture, jusqu’au bout de ses doigts mozartiens. Nul hasard s’il choisit Benoît comme nom de pontificat : double hommage à l’inspirateur de l’Europe monastique et à ­Benoît XV, cet incompris qui tenta de convaincre Allemands et Français de ne pas s’entretuer. Pas de hasard non plus quand ce latiniste sentimental s’offrit le luxe un peu snob de renoncer à son pontificat en une langue connue de toute l’Europe, celle d’avant.

Du siècle dernier ? Qu’il ait connu l’an 2022 ne doit pas nous tromper. Ce catholique bavarois enrôlé de force dans les jeunesses hitlériennes connaissait d’expérience les totalitarismes athées. Vingt ans après, le brillant théologien était plongé au cœur de Vatican II. Un concile dont il était devenu sur ses vieux jours, non sans ironie de l’Histoire, l’ultime témoin. Voilà qui vous campe une pensée en plein milieu de son XXe siècle. Et c’est le genre de position dont un homme comme ­Ratzinger ne bougera jamais.

Au fond, ce mécontemporain – le mot est de Péguy – n’a jamais connu son époque que comme une épreuve à subir dans la foi, l’espérance et la charité. Si l’intelligence de Benoît XVI a souvent dépassé son temps, ce fut toujours à reculons. Le dernier intellectuel européen du XXe siècle est aussi le dernier penseur du second millénaire. Seul contre tous, ou presque, il rêva de redonner à une civilisation judéo-chrétienne à bout de souffle son principe d’unité, sa vitalité, son harmonie perdue. Il espérait sauver ainsi une culture qui, avouons-le, ne lui avait rien demandé. C’est aussi ce qu’exprime son « herméneutique de la continuité », ce mythe d’une croissance lisse et continue de la Tradition, comme si culte et culture pouvaient toujours être préservés des mutations historiques et des cassures civilisationnelles par la seule force de l’intellect. Comme le soulignent le discours des Bernardins et la si mal reçue conférence de Ratisbonne, il vivait à l’âge d’or de la théologie médiévale : là battait, jadis, entre érudits, le cœur de la chrétienté.

Sur le fond, le diagnostic de ­Ratzinger demeurera. Citons brièvement, plus à titre d’exemple qu’à des fins d’exhaustivité, quelques aspects marquants.

La dictature du relativisme

Nous sommes « des nains juchés sur les épaules des géants », disait Umberto Eco, reprenant la formule d’un philosophe médiéval, Bernard de Chartres. Mais les nains ont tordu le cou à ceux qui les portaient. Ils font au ras du sol la pluie et le beau temps. La simple expression de la « loi naturelle » nous révulse. Nulle vérité n’est absolue, moins encore révélée. Chaque individu est la mesure de toute chose. La force dissolvante de ce principe inquiétait Benoît XVI. Il le savait à l’œuvre dans le monde comme dans l’Église. Mais s’il allait jusqu’à parler de dictature, c’est parce que le libéralisme éthique ne souffre ni limite ni critique. Moins nous croyons en une autorité supérieure à la nôtre, plus nos petites sensibilités et nos microscopiques certitudes deviennent comme ces vierges qu’un rien effarouche. Et cela nous rend incapables d’entendre la voix d’un Autre. L’effacement de Dieu est programmé.

L’équilibre de la foi et de la raison

L’une tient l’autre, et réciproquement. Privée des secours de la raison, la religion sombre dans le fanatisme ou retourne au paganisme. Sortie des rails de la religion, la raison verse dans le fossé. Cela donne aussi bien le totalitarisme du siècle dernier que les confusions éthiques de notre époque. Complotisme, perte de sens démocratique, montée des intolérances, retour des idéologies du soupçon de l’autoritarisme, émergence des États carnassiers, aveuglement climatique… Et les Lumières dans tout ça ? Benoît XVI avait vu juste. Enfin seule, après avoir systématiquement détruit les vérités prépolitiques qui la soutenaient, la raison entre en une crise profonde. On y croit moins encore qu’à la religion, c’est dire !

L’avenir appartient aux « minorités créatives »

La pensée Ratzinger n’est pas (seulement) conservatrice ou réac­tion­naire. Preuve massive : sa renonciation, un vrai dynamitage idéologique. La frange réactionnaire de l’Église ne s’en est jamais remise. Quant aux progressistes, ils ne peuvent tout de même pas aller jusqu’à lui dire merci. Ce départ choisi est pourtant l’acte le plus novateur et le plus puissant qu’un pape ait fait depuis des décennies, peut-être des siècles. Désacralisation radicale de la papauté, la renonciation remet le Christ au centre du village. Il y a, derrière ce geste d’un homme s’avouant fragile et reconnaissant son échec, une puissante pensée politique, théologique et spirituelle.

L’optimiste Jean-Paul II pouvait encore croire qu’il soulèverait la chrétienté par la force de sa foi et que l’on s’inclinerait à nouveau devant la « splendeur de la vérité ». Benoît XVI, plus réaliste, a permis aux catholiques de faire leur deuil de toute illusion dominatrice et de tout fantasme majoritaire. Ne pas s’illusionner sur la reconquête, ni même sur les chances de succès à court terme. Renoncer au désir mondain. Que le « petit reste » se contente de tenir le dépôt de la foi sera bien assez, et très biblique. On ne s’étonnera pas que ce pape ait compté dans la vocation de tant de jeunes prêtres, aujourd’hui comme orphelins. Il les a intellectuellement réarmés et convaincus qu’ils avaient l’avenir pour eux, mais en Dieu seul. Voilà pourquoi Joseph Ratzinger sera un jour proclamé docteur de l’Église. Cette même Église que Benoît XVI n’est pas parvenu à soigner.