Plus d’un million d’enfants pauvres

 

Deux rapports de l’inspecteur général Jean-Paul Delahaye et de la présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, sur l’Ecole et la grande pauvreté visent à rien moins que permettre la réussite des enfants pauvres dans une Ecole largement tournée vers l’élitisme.

 

Rapport de Jean-Paul Delahaye en libre téléchargement ci-dessous ou en cliquant ce lien

Rapport de Marie-Aleth Grard sur le site du CESE

 

Jean-Paul Delahaye : « Refonder l’école, c’est faire réussir les plus pauvres  

Grande pauvreté : Les réponses mesurées de la ministre

Grande pauvreté : Le rapport fait-il l’impasse sur le numérique ?

 

Nous reproduisons, ci-dessous, deux articles du Café Pédagogique suite à la publication de ces deux rapports. Ils serviront de base afin d’aborder le sujet dans le cadre des missions éducatives des uns et des autres au sein de l’école publique, des établissements privés et des institutions qui pourraient se sentir concernées.

 

En prenant comme base un revenu inférieur à 60% du revenu média français, on compte 8,5 millions de pauvres en France, dont plus de 2,5 millions d’enfants et d’adolescents (3 millions pour l’UNICEF). Si l’on descend à 50 % du revenu médian, c’est 1,2 million d’enfants et d’adolescents qui sont concernés. Selon l’Observatoire des inégalités,  » ces 1,2 million d’enfants de pauvres vivent dans un environnement modeste où les revenus sont insuffisants pour vivre décemment dans une société riche comme la France. Pour partie, il s’agit d’enfants de chômeurs. 13 % des enfants de pauvres vivent au sein d’un couple avec un parent chômeur et l’autre inactif, ou deux chômeurs, contre 1 % des enfants de familles qui ne sont pas pauvres. Mais 12 % des enfants de pauvres vivent avec deux parents en emploi, contre 63 % des autres enfants. […] Sans tomber dans le misérabilisme, il n’en demeure pas moins que vivre dans une famille pauvre constitue l’une des composantes de la reproduction des inégalités : le manque de moyens, des conditions de vie difficiles, constituent des obstacles supplémentaires, par exemple, dans la réussite scolaire et l’intégration professionnelle « .

 

Deux millions de personnes vivent avec moins de 651 euros par mois et par personne (40% du niveau de vie médian). Près de 700 000 personnes n’ont pas de domicile personnel, dont plus de 400 000 hébergées de façon contrainte chez des tiers, selon la Fondation Abbé Pierre (données 2012). Selon l’Insee, on compte 140 000 sans domicile fixe, dont un peu plus de 10 000 dorment dans la rue (données 2012).

 

Pauvreté et échec scolaire

 

Or la France est le pays de l’OCDE où la situation sociale des parents impacte le plus les résultats scolaires. « La corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE », estime l’OCDE. Le système d’éducation français  » est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et les inégalités sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006 (43 points en 2003 contre 55 en 2006 et 57 points en 2012). En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 2003 ». S’ajoute à ce constat que « les élèves issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté. La proportion d’élèves issus de l’immigration se situant sous le niveau 2 en mathématiques lors du cycle PISA 2012 ne dépasse pas 16 % en Australie et au Canada, mais atteint 43 % en France et globalement plus de 40 % uniquement en Autriche, en Finlande, en Italie, au Mexique, au Portugal, en Espagne et en Suède ». Enfin, en France, « les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé n’obtiennent pas seulement des résultats nettement inférieurs, ils sont aussi moins impliqués, attachés à leur école, persévérants, et beaucoup plus anxieux par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE ».

 

Une mission ministérielle

 

Confiée par Benoît Hamon à Jean-Paul Delahaye le 16 juillet 2014, la mission Grande Pauvreté et réussite scolaire doit donner des pistes pour que l’Ecole devienne un lieu de réussite pour ces enfants. Elle s’appuie sur la loi d’orientation de l’Ecole de juillet 2013 qui a fixé des objectifs en ce sens. « Les objectifs fixés par la nation à son école : une école à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun. La refondation de l’école doit en priorité permettre une élévation générale du niveau de tous les élèves. Les objectifs sont d’abord de nature pédagogique :

[…] ― réduire à moins de 10 % l’écart de maîtrise des compétences en fin de CM2 entre les élèves de l’éducation prioritaire et les élèves hors éducation prioritaire […]

― diviser par deux la proportion des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification et amener tous les élèves à maîtriser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’issue de la scolarité obligatoire […] »

 

En attendant la pauvreté continue d’écraser les enfants au sein même des écoles.  » La grande pauvreté est une broyeuse qui avale les parents, les élèves, et parfois même les membres de la communauté éducative », explique un inspecteur de l’académie de Lille, cité par JP Delahaye. « Les parents, parce qu’elle les isole et les désarme, parce qu’elle leur ôte toute dignité, les empêchant d’envisager positivement leur avenir et celui de leurs enfants, tout accaparés qu’ils sont par la survie au quotidien.  Les élèves, parce qu’elle ne leur donne pas les moyens de venir jusqu’à l’école ou d’y rester.  L’école, parce qu’elle n’a pas les moyens de faire venir les élèves jusqu’à elle, ni de les faire rester. Les professeurs, parce que la misère leur est souvent insupportable et parce qu’elle les confronte à leurs limites personnelles et professionnelles en permanence. Nombreux sont les membres de la communauté éducative qui sont atteints dans leurs valeurs et qui ne peuvent pas porter aussi haut qu’ils le voudraient l’idéal républicain ».

 

Au quotidien, les enseignants des quartiers populaires croisent des enfants qui se jettent sur le pain à la cantine, qui sont habillés de bric et de broc et qui arrivent fatigués à l’école parce qu’ils vivent dans des appartements surpeuplés. Ils lisent aussi l’angoisse des enfants devant les difficultés matérielles, les problèmes de papiers et parfois la dégradation des liens familiaux. C’est tout cela que doivent conjurer les deux rapports de JP Delahaye et MA Grard.

 

François Jarraud (source)

 

 

Le rapport Delahaye veut ouvrir l’Ecole aux familles populaires 

 

 

« Osons être inégalitaires en moyens pour être égalitaires en réussite et, au fatalisme, préférons la solidarité pour une école inclusive et la réussite de tous les élèves ». Ce pari c’est celui que Jean-Paul Delahaye propose à l’Education nationale. Dans un copieux rapport publié le 12 mai, l’ancien directeur de l’enseignement scolaire livre ce qu’il sait sur la façon dont l’Education nationale accommode les pauvres. Il ne s’en tient pas à des révélations déjà retentissantes, il livre un véritable programme qui, en 66 préconisations, doit permettre à l’école française de réussir à intégrer ses pauvres. On a attendu longtemps le « Pisa choc » capable de laver l’affront d’avoir le système éducatif le plus inégalitaire des pays développés. Jean-Paul Delahaye vient de le donner.

 

 Ancien conseiller spécial de V. Peillon, ancien directeur de l’enseignement scolaire, inspecteur général, JP Delahaye connait l’éducation nationale de façon très intime. Son rapport, publié le 12 mai nous livre de véritables révélations sur la façon dont l’Education nationale , sous la droite, a utilisé l’argent des fonds sociaux. Bien au delà, cet excellent rapport montre comment enfin intégrer les enfants des familles populaires dans l’Ecole au prix d’efforts budgétaires, sociaux mais aussi pédagogiques.

 

 

Un élève pauvre sur dix

 

Près de 1,2 millions d’enfants vivent dans des familles qui ne touchent que 60% du revenu médian français. Vivre dans une famille pauvre, comme le dit l’Observatoire des inégalités, « constitue l’une des composantes de la reproduction des inégalités : le manque de moyens, des conditions de vie difficiles, constituent des obstacles supplémentaires, par exemple, dans la réussite scolaire et l’intégration professionnelle ». En France, la situation sociale des parents impacte le plus les résultats scolaires. « La corrélation entre le milieu socio-économique et la performance est bien plus marquée en France que dans la plupart des autres pays de l’OCDE », estime l’OCDE. Le système d’éducation français « est plus inégalitaire en 2012 qu’il ne l’était 9 ans auparavant et les inégalités sociales se sont surtout aggravées entre 2003 et 2006 (43 points en 2003 contre 55 en 2006 et 57 points en 2012). En France, lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’en 2003 ». S’ajoute à ce constat que « les élèves issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté. La proportion d’élèves issus de l’immigration se situant sous le niveau 2 en mathématiques lors du cycle PISA 2012 ne dépasse pas 16 % en Australie et au Canada, mais atteint 43 % en France et globalement plus de 40 % uniquement en Autriche, en Finlande, en Italie, au Mexique, au Portugal, en Espagne et en Suède »..

 

Une mission ministérielle

 

Confiée par Benoît Hamon à Jean-Paul Delahaye le 16 juillet 2014, la mission Grande Pauvreté et réussite scolaire doit donner des pistes pour que l’Ecole devienne un lieu de réussite pour ces enfants. Elle s’appuie sur la loi d’orientation de l’Ecole de juillet 2013 qui a fixé des objectifs en ce sens. « Les objectifs fixés par la nation à son école : une école à la fois juste pour tous et exigeante pour chacun. La refondation de l’école doit en priorité permettre une élévation générale du niveau de tous les élèves. Les objectifs sont d’abord de nature pédagogique : réduire à moins de 10 % l’écart de maîtrise des compétences en fin de CM2 entre les élèves de l’éducation prioritaire et les élèves hors éducation prioritaire (…); diviser par deux la proportion des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification et amener tous les élèves à maîtriser le socle commun de connaissances, de compétences et de culture à l’issue de la scolarité obligatoire. »

 

Votre école a-t-elle des enfants pauvres ? Extrait du rapport

Quelques signes permettant de repérer les enfants en situation de grande pauvreté

Observations des directrices et directeurs d’école de Pierrefitte

(académie de Créteil, notes prises par l’inspectrice de la circonscription)

 

– Problèmes vestimentaires (tenues non adaptées à la saison) ;

– Ils  n’ont pas d’assurance scolaire ;

– certains élèves sont très fatigués en classe ;

– certains enfants disent dormir dans des voitures, dans des garages (marchands de sommeil) ;

– certains parfois arrivent sans avoir mangé et le disent à leur maîtresse ;

– parfois ils ne peuvent pas participer aux voyages scolaires pour des raisons financières ;

– certains ne peuvent pas payer les photos de classe ;

– certains parents disent arriver en retard pour chercher leur enfant car ils sont en recherche d’emploi ;

– certains parents demandent aux directeurs de les accompagner dans leur démarche administrative ;

– de nombreuses familles en transit sur la ville (hôtels sociaux, recherche de logement) ;

– les familles monoparentales ont des difficultés à accompagner ou venir chercher les enfants qui alors parfois restent dans la rue.

 

Le scandale des fonds sociaux détournés

 

 De 2002 à 2012, le budget des fonds sociaux des établissements scolaires est passé de 73 à 32 millions, soit plus qu’une division par deux. Ces sommes servent à donner à manger aux enfants dont la famille ne peut pas payer la cantine ou qui sont mineurs isolés ou encore à des secours d’urgence. En pleine crise économique ponctionner ainsi des fonds qui ont une utilité sociale aussi primaire, il fallait le faire. C’est ce qu’a réalisé Gilles de Robien en abaissant régulièrement leur montant. Sous son règne, ils passent de 73 à 40 millions. Luc Chatel achèvera la dégringolade en 2011 et 2012. Mais ce n’est  pas le seul scandale bugétaire que dévoile le rapport Delahaye. Il montre aussi l’insuffisance des bourses de collège. Le taux maximum est de 357 € par an soit 1,98 € par jour de classe, même pas le prix d’un repas à la cantine.  Selon JP Delahaye, le nombre de boursiers est aussi insuffisant par rapport au nombre de familles défavorisées. Un pourcentage sensible de ces familles ne demande pas leurs droits. Et ça arrange bien l’administration qui réaffecte ce sommes.  Ces situations choquantes sont les premiers points soulevés par JP Delahaye : il demande la sanctuarisation des fons sociaux à hauteur de 70 millions et la simplification des demandes de bourse et le contrôle des demandes par rapport aux pcs defavorisées.

 

Des mesures concrètes

 

Le rapport contient ainsi de nombreuses propositions très concrètes qui reposent sur une bonne connaissance de la vue quotidienne des familles pauvres. JP Delahaye montre comment l’Ecole devient uen sorte de guichet social unique pour elles. Il demande aussi des efforts en terme de médecins et d’assistantes sociales ou un libre accès à la cantine comme cela se fait dans de nombreux pays.  Ou encore il souhaite que les remplaçants soient affectés en priorité en Rep. Il demande aussi à ce qu’on arrête d’utiliser des critères sociaux pour l’orientation en segpa…

 

Des moyens pour les quartiers populaires

 

Il aborde la question des moyens de façon plus globale. En attendant que le système soit devenu plus égalitaire il va bien falloir affecter des moyens supplémentaires dans les établissements qui accueillent des familles populaires. JP Delahaye n’hésite pas à lever des tabous : oui il faut des enseignants expérimentés en Rep et pour cela il va falloir les payer mieux (il parle de coefficient démultiplicateur du salaire). Oui il faudra diminuer le nombre d’élèves par classe en Rep+. Il demande aussi à scolariser davantage d’enfants de moins de 3 ans en rep et à renforcer les Rased. Pour financer cela, il envisage la réaffectation des économies réalisées avec la suppression du redoublement (mais on sait grâce au Cnesco que l’opération ne rapporte pas tout de suite). Il soulève un autre tabou en invitant à prélever sur le lycée des moyens à réaffecter au primaire. Il demande que les dotations des établissements tiennent compte de leur degré de mixité sociale y compris dans le privé.

 

Une pédagogie explicite

 

« Les « enfants pauvres » ne sont pas de « pauvres enfants », aussi ne s’agit-il pas d’en rabattre avec les exigences scolaires. Être exigeant scolairement avec eux, c’est les respecter », dit JP Delahaye. Le rapport contient également de nombreuses propositions pédagogiques. Pour JP Delahaye, toutes les  pédagogies ne se valent pas. Il  recommande la diffusion du reférentiel pédagogique de l’éducation prioritaire. Celui ci recommande une pédagogie explicite qui vérifie ce qui est compris par l’élève.

 

 

La pédagogie explicite : Un exemple tiré du rapport

Des méthodes actives au sein d’un enseignement explicite et structuré

Audition de Roland Goigoux, 17 mars 2015

 

1. Planification : objectifs bien articulés entre eux ; étapes modestes mais fortement structurées. (La progressivité des apprentissages est définie à partir des caractéristiques de la cognition enfantine dans les domaines considérés)

2. Étayage (ou un guidage) serré de la part de l’enseignant pour garantir la compréhension des notions par les élèves (conceptualisation) et pour faciliter l’apprentissage des procédures et/ou des connaissances visées

3. Clarté cognitive : pour les maîtres qui doivent précisément « savoir où ils vont » et pour les élèves qui doivent progressivement cerner les enjeux d’apprentissage et les procédures à leur disposition. Clarté facilitée par l’énoncé des apprentissages visés et celui des acquis réalisés à chaque étape

4. Régulation de l’attention des élèves, favorisée par une centration sur les informations importantes à comprendre et à mémoriser ; allègement de la charge cognitive en évitant de submerger les élèves par une trop grande multiplicité d’opérations à réaliser en parallèle.

5. Mémorisation : rôle de l’exercice et de l’entrainement favorisant l’automatisation des procédures et la mémorisation à long terme ; rôle des révisions fréquentes, hebdomadaires et mensuelles, des apprentissages effectués et renforcement des prises de conscience (clarté cognitive et métacognition).

6. Caractère exhaustif de l’enseignement : les compétences requises par la réalisation des tâches scolaires (autrement dit leurs préalables) doivent être prises en charge par l’enseignement. (Cf. l’effet socialement discriminant des pédagogies qui présupposent des compétences qu’elles n’enseignent pas).

7. Motivation : pas un préalable, la conséquence d’un sentiment de compétence, généré par des réussites progressives.

 

 

Faut-il éduquer à part les enfants pauvres ?

 

Compte tenu de tous ces efforts, faut il des écoles spéciales pour les enfants pauvres ? C’est le pari contraire que fait JP Delahaye. Pour lui l’école doit être inclusive et y inclure les enfanst pauvres c’est l’enrichir. L’école transformée pour accueillir tous els enfanst est plus à même de faire réussir tous les jeunes y compris les privilégiés.

 

On mesure alors que ce rapport est bien plus qu’une réponse à une commande ministérielle. J Delahaye, à l’évidence, y a mis beaucoup de sa personnalité. Il propose un vrai programme de redressement pour l’école de la réfondation.

 

François Jarraud (source)