De Moïse à Hitler

 

Moïse, une préfiguration de Hitler ?

 

Le philosophe Michel Onfray et l’essayiste Jean Soler sont durement mis en cause pour de récentes critiques du monothéisme, en particulier du judaïsme. Beaucoup de commentateurs dénoncent par ailleurs une vision idéalisée des valeurs helléniques.

 

Dans une tribune du Point, Michel Onfray a, une fois de plus, mis le feu aux poudres en faisant cette fois l’éloge du dernier essai de Jean Soler, Qui est Dieu (éd. de Fallois, 2012). Une citation de cette exégèse de la Bible, est au cœur du débat : « Le nazisme selon Mein Kampf (1924) est le modèle hébraïque auquel il ne manque même pas Dieu. » Le philosophe l’explicite : « Hitler est le guide de son peuple, comme Moïse ; le peuple élu n’est pas le peuple juif, mais le peuple allemand ; tout est bon pour assurer la suprématie de cette élection. »

 

En d’autres termes, le monothéisme et le nazisme procèderaient d’une même matrice intellectuelle. Quelques éléments de contexte : à travers l’œuvre de Jean Soler, Michel Onfray critique six « idées reçues » sur la religion. Outre d’incontournables rappels historiographiques — la Bible n’est pas un texte révélé, mais s’est construite au fil des siècles selon des idéologies tour à tour dominantes —, le philosophe affirme, en résumé, que le monothéisme n’est pas le socle d’une morale universelle et altruiste ; au contraire, il serait foncièrement identitaire et animé de violence. En découle l’affirmation que même le nazisme s’en serait inspiré pour mettre en œuvre une politique d’extermination.

 

Dans L’Express, le grand rabbin Haïm Korsia récuse les principales critiques formulées à l’encontre de la Bible. « Contrairement à ce qu’affirme Onfray, écrit-il, l’amour du prochain concerne tous les hommes dans la Bible, où il est répété tant de fois: « Tu aimeras l’étranger comme toi-même », car « il n’y a qu’un seul peuple sur terre », et aucun ne peut se dire supérieur à un autre. » En toile de fond, il reproche au philosophe d’alimenter le révisionnisme et l’antisémitisme. « Ne sortez pas les démons de la bouteille avec de tels appels à la haine, le prévient-il, car les nuages sont de retour sur notre vieille Europe. »

 

Le propos était encore plus virulent à l’origine. D’après le rédacteur en chef de L’Express.fr, le philosophe et l’essayiste étaient accusés d’accréditer la thèse selon laquelle les Juifs avaient bien cherché ce qui leur était arrivé pendant la Seconde guerre mondiale. « On peut évidemment ne pas partager l’avis d’Onfray, rétorque Éric Mettout, le trouver choquant, même, sans se sentir obligé à faire de lui un Faurisson qu’il n’est en aucune manière. »

 

Sur le NouvelObs.com, le philosophe Daniel Salvatore Shiffer dénonce aussi une « calomnie ». Pour lui, Michel Onfray s’en est toujours pris aux trois monothéismes, même si le texte du Point focalise sur le judaïsme : « Manifester son hostilité envers une religion, quelle qu’elle soit, ne signifie pas pour autant que l’on ait une quelconque aversion envers le peuple qui s’en revendique ou la pratique. »

 

Pour autant, il prend ses distances avec la principale thèse incriminée : « Non, écrit-il, Moïse, quel que soit son extrémisme religieux, voire son fanatisme guerrier, n’est pas l’archaïque préfiguration d’Hitler, si ce n’est au prix d’une interprétation exagérément partisane, et donc fausse sur le plan de l’herméneutique, du texte biblique.  » Plus généralement, partisans et détracteurs de Onfray et Soler critiquent d’une même voix cette vision rétroactive de l’histoire.

 

Selon le journaliste David Caviglioli sur LeNouvelObs.com, utiliser des concepts contemporains, comme l’ethnie ou la shoah, pour juger une peuplade du XIIe siècle avant notre ère est une démarche hasardeuse. « Adam, Abraham, Noé et consorts n’étaient évidemment pas juifs », rappelle-t-il en guise d’exemple. Autre point de concorde : beaucoup dénoncent une vision idéalisée des valeurs helléniques.

 

Le philosophe célèbre une Grèce « qui ignore l’intolérance, la banalisation de la peine de mort, les guerres de destruction massive entre les cités ; une Grèce qui célèbre le culte des femmes ; une Grèce qui ignore le péché, la faute, la culpabilité ». Sur le site de La règle du jeu, le rabbin Yeshaya Dalsace relativise une telle utopie : « Faut-il rouvrir les classiques helléniques pour se remémorer les guerres entre cités, enlèvements, massacres et viols ? Faut-il rappeler les interminables luttes entre Sparte et Athènes et la politique hégémonique de cette dernière dont la cruauté envers les vaincus frappa Aristophane ou Xénophon ? »

 

Ancien moine bénédictin, l’essayiste Didier Long dénonce aussi des inexactitudes voire des erreurs dans une longue réfutation historiographique de ces thèses. Il leur reproche notamment de s’attaquer à une vision fondamentaliste de la Bible au lieu de critiquer des analyses plus fines, y compris de croyants engagés dans la recherche scientifique.