Débattre à partir des mythes

Pour une « citoyenneté réflexive » 

Le débat en classe ne s’improvise pas. Il nécessite des règles précises qu’il s’agit de maitriser afin d’éviter le simple bavardage. Michel Tozzi, spécialiste du débat en classe, nous transmet toute son expérience dans un domaine qui occupe transversalement les programmes de la religion à l’école du CP à la terminale : le mythe.

Le mythe enracine les échanges d’un groupe dans une culture à la fois existentielle et universelle. Il parle en tant qu’histoire à notre sensibilité et à notre imagination. Il mobilise en outre notre raison pour son interprétation. Et ce, que l’on soit adulte ou enfant. Ce livre s’adresse à des enseignants, des formateurs, des animateurs qui organisent dans leurs activités des discussions sur les questions essentielles de l’existence : les problèmes que posent à chacun le sens de sa vie, la mort, l’identité, l’amour, le bien, le désir, la loi, le pouvoir… Il propose une méthode de débat, et le support de mythes. Il s’adresse plus largement, par la portée des mythes évoqués, à tous ceux qui réfléchissent sur la condition humaine. On trouvera ici des démarches, des dispositifs, des outils méthodologiques, mais aussi des exemples concrets de discussions, ainsi que des repères accessibles sur les contenus (problèmes et notions)

Si vous n’avez pas l’opportunité de lire ce livre, prenez quelques minutes pour parcourir cet échange entre Michel Tozzi et Lilia Ben Hamouda qui l’interviewe.


Michel Tozzi : pour une « citoyenneté réflexive » 

 » La Discussion à Visée Philosophique (DVP) a une visée politique. Elle contribue à l’éducation à la citoyenneté réflexive ». Michel Tozzi, philosophe et professeur honoraire de sciences de l’éducation, revient, dans  » Débattre à partir des mythes. À l’école et ailleurs » (Chronique sociale), sur la mise en place de la DVP en classe et son rôle dans la formation intellectuelle des enfants.

Michel Tozzi, qu’est-ce que la discussion à visée philosophique

La discussion à visée philosophique est un échange entre les enfants, échange animé par l’enseignant ou un animateur. Ces échanges ont une double visée. Une visée démocratique car il y a partage des rôles entre les différents participants. Il y a un président de séance, un reformulateur, un synthétiseur et des observateurs. Nous sommes dans un système de co-animation, où l’animateur a partagé son « pouvoir ». Le président est sur la forme du débat, c’est-à-dire qu’il gère les prises de parole selon des règles. L’animateur, qui est généralement l’enseignant, s’occupe du fond, ce qui lui permet d’avoir une attention accrue à tous les élèves.

La deuxième visée est philosophique. La difficulté réside dans cette deuxième visée, comment faire en sorte que la discussion soit démocratique mais aussi philosophique ? Trois processus de pensée permettent d’entrer dans une discussion à visée philosophique.
> La problématisation, c’est-à-dire quand les élèves problématisent, se posent des questions, remettent en question les opinions et les préjugés de leurs camarades.
> La conceptualisation, c’est quand ils essaient de conceptualiser, de définir les notions qu’ils utilisent.
> L’argumentation, ce qui revient à ne pas dire ce que l’on pense mais penser ce que l’on dit. Argumenter les raisons pour lesquelles ils disent ce qu’ils disent, argumenter les objections qu’ils font à leurs camarades et argumenter les réponses aux objections qu’on leur fait.

Le rôle de l’animateur est d’être vigilant quant à ces processus de pensée et de faire en sorte que les élèves les mettent en œuvre, notamment au travers d’interventions de type « mais pourquoi tu dis ça ? » ou encore « pourquoi cette question te semble importante ? »… Tout cela permet de déterminer les enjeux de la question posée en début de séance et, progressivement, passer à sa problématisation.

A quoi cela sert-il ?

La discussion à visée philosophique (DVP) sert essentiellement à développer la pensée réflexive des participants. C’est très important pour les enfants qui sont des êtres de sensibilité et d’imagination mais pas encore des êtres de raison. La DVP sert à éveiller la pensée réflexive en accompagnant les enfants pour qu’ils posent eux-mêmes les questions existentielles qui les touchent, qui les intéressent et qui les affectent. Il s’agira ensuite de les accompagner pour qu’ils trouvent d’eux-mêmes la réponse à la question qu’ils se sont posés. En deux mots, la DVP sert à penser par soi-même, en se débarrassant des préjugés et opinions pour accéder à une pensée rationnelle.

La DVP a aussi une visée politique, elle contribue à l’éducation à la citoyenneté réflexive. Par son aspect démocratique, elle permet aux élèves d’apprendre à prendre la parole dans un groupe, d’apprendre à écouter les autres et à comprendre ce qu’ils disent. Argumenter sur le fond permet que ces débats citoyens deviennent réflexifs.

Comment organiser ce type de débat ?

D’un point de vue organisationnel, il faut que les élèves soient en cercle. Pour débattre, on doit pouvoir se voir. D’ailleurs les masques masquent les émotions alors que le para-verbal et le non-verbal jouent un rôle important dans ce type de discussion. 

Dans ce cercle, la place de chacun est réfléchie. L’animateur est au centre, à sa droite se tient le président de séance – ce qui permet de symboliser la co-animation : l’un tient le fond, l’autre la forme. A la gauche de l’animateur se tient le réformulateur, puis le secrétaire de séance – appelé aussi synthétiseur. Cette organisation permet à l’animateur de veiller à ce que chacun tienne bien son rôle.

Bien entendu, à chaque séance les rôles sont redistribués. Chaque fonction permet de développer des compétences spécifiques. Le président permet de gérer un groupe en fonction de règles.

Concernant les questions abordées, elles sont décidées collectivement à la suite de la lecture d’un texte. Il est important que la question travaillée émerge du groupe et qu’elle soit votée par le collectif classe.

Le temps de la discussion varie en fonction des niveaux, elle peut durer de 10 à 50 minutes. A la fin de la séance, il y a une phase métacognitive durant laquelle on réfléchit à la façon dont la discussion s’est déroulée, notamment à partir des remarques des observateurs. Ces remarques se basent soit sur la manière dont les fonctions ont été occupées, chaque fonction ayant un cahier des charges, soit sur le ressenti des différents acteurs, soit sur les observations des observateurs. Cette phase est assez longue et est très importante.

Pourquoi s’appuyer sur les mythes ?

Ce n’est pas un impératif, on peut aussi travailler sur une boîte à questions ou la littérature de jeunesse. J’ai choisi de travailler sur les mythes pour plusieurs raisons. Les mythes sont une histoire. Travailler sur une histoire permet aux enfants de se projeter et de s’identifier aux héros, ce qui leur permet de vivre des dilemmes moraux par une forme de médiation culturelle qui du fait que ce ne soit pas leur dilemme devient une expérience de pensée. Le mythe est une histoire qui a une dimension anthropologique très forte. Les mythes soulèvent souvent le problème de l’origine, comme le mythe de la caverne de Platon. Et pour finir, je ne choisis pas n’importe quel mythe. Je choisis les mythes Platoniciens car cela habitue les élèves à baigner dans une culture philosophique qu’ils retrouveront par la suite et parce qu’avec ces mythes, nous sommes vraiment à l’origine de la philosophie.

Quelles difficultés peuvent rencontrer les enseignants qui se lancent dans l’aventure ?

Pour les enseignants qui sont déjà dans une démarche de pédagogie coopérative où la structure démocratique est déjà en place, c’est beaucoup plus facile d’instaurer des DVP. Paradoxalement, en formation initiale, comme les étudiants n’ont pas encore de pratique, là aussi, c’est plus simple de les initier aux discussions réflexives. Pour les enseignants et enseignantes déjà en poste, généralement, leur dernière expérience avec la philosophie date de la terminale. Donner une dimension démocratique au débat est plus évident que de donner une dimension philosophique, c’est là la difficulté. Ils et elles ne rencontrent pas de difficulté avec l’argumentation mais les phases de problématisation et conceptualisation sont plus compliquées à appréhender. Il faudrait une formation au processus de pensée dès la formation initiale et lors de la formation continue. Pour accompagner les enseignants et enseignantes qui souhaitent se lancer dans les DVP. J’ai mis en ligne plusieurs vidéos.

Pour ce faire : tapez « Michel Tozzi DVP’ dans un moteur de recherche [NDLR]

EAN13 : 9782367178141
ISBN : 978-2-36717-814-1
Éditeur : Chronique sociale
Date de publication : 06/01/2022
Collection : PEDAGOGIE FORMATION