Un métier sérieux – le film de la rentrée
Film de Thomas Lilti au cinéma dès le 13 septembre prochain.
Qu’est-ce qui fait tenir les profs aujourd’hui ? Où puisent-ils l’énergie d’exercer un métier en perte de sens et en crise de recrutement ? Comment entretiennent-ils la flamme de l’engagement au-delà des aléas d’une profession décriée dans un système scolaire aux fondations vacillantes ? Après les médecins et les soignants, personnages au centre du travail de Thomas Lilti depuis dix ans, le réalisateur s’attache ici aux enseignants et questionne encore les fondements de l’engagement, à travers le quotidien ordinaire d’un groupe de professeurs de collège, pas si ordinaires qu’ils en ont l’air.
Bande annonce
Une histoire simple, des enjeux complexes
Nouvelle année scolaire au collège. Pierre, Meriem, Fouad, Sophie, Sandrine, Alix et Sofiane, un groupe d’enseignants engagés et soudés se retrouve. Benjamin, jeune professeur de mathématiques remplaçant les rejoint. Sans expérience et rapidement confronté aux affres du métier. Au contact de ses collègues, le novice avec ses élèves connaît l’épreuve de la ‘première fois’ et va découvrir combien la passion de l’enseignement demeure vivante. Au sein d’une institution pourtant fragilisée.
Un quotidien ordinaire transformé par la mise en scène subtile de Thomas Lilti en une chronique réaliste et romanesque, teintée d’humour, incarnée par une sacrée troupe d’acteurs familiers de longue date (Vincent Lacoste, François Cluzet, Louise Bourgoin, William Lebghil, Théo Navarro-Mussy, Bouli Lanners…) ou nouvelles venues chez le cinéaste (comme Adèle Exarchopoulos, Lucie Zhang… ), sans oublier Léo Chalié. Un hommage tout en nuances à la complexité d’une profession aujourd’hui chamboulée, mal considérée, confrontée aux défaillances du système éducatif et aux incohérences des politiques publiques. Un acte de création humaniste pour mettre en lumière sans concession un métier ‘essentiel’, garant d’une mission universelle’.
Sonder l’engagement des enseignants faisant face aux défaillances de l’Ecole
A partir d’une situation concrète, vécue par nombre d’enseignants débutants ou confirmés, Thomas Lilti, médecin devenu réalisateur et scénariste reconnu et remarquable par ses longs métrages (« Hippocrate » en 2014, « Médecin de campagne » en en 2016 et « Première année » en 2018) et sa série TV (« Hippocrate », Saison 1 en 2018, Saison 2 en 2021, Saison 3 en production) explore maintenant un nouvel univers : l’enseignement. Avec les mêmes obsessions : interroger l’engagement des enseignants aujourd’hui, (comme il l’a fait pour les soignants) dans une profession de plus en plus décriée, paupérisée, déclassée. Inventer une histoire réaliste fondée sur le portrait de groupe de femmes et d’hommes dont la vocation première, –celle de la transmission du savoir-, est mise à mal par les dysfonctionnements de l’Education nationale et aussi par des contradictions, des faiblesses propres à chacun auxquelles le réalisateur porte la plus grande attention.
Profondeur de l’observation, acuité du ‘diagnostic’
Fort d’un travail de préparation au long cours, fait d’observations, de recueils de témoignages et de documentations, soutenu par une foi en l’école comme lieu d’émancipation étayée par l’investissement de proches dans l’enseignement –une mère, ancienne professeure de français notamment-, le cinéaste s’immerge dans le sujet jusqu’au moment où s’impose l’écriture du scénario nourri par la familiarité acquise avec le terrain (du jeu à venir) et les acteurs imaginés dans les rôles principaux.
Chasseur de clichés à tout crin, le cinéaste situe volontairement son histoire dans un ‘collège de la classe moyenne’ avec une population mélangée socialement, ‘comme on n’en voit presque plus à la télévision’. De même, le travail sur le plateau, en particulier au contact de collégiens (et de leur expérience d’élèves), laisse droit à la vie d’envahir par moments la création et d’en modifier le cours en inventant de nouveaux dialogues au plus près des accidents de tournage. La longueur des prises et le recours simultané à deux caméras installent également une disponibilité et une liberté propices à l’invention dans le jeu des interprètes professionnels.
Plongée intime, aventure collective : des comédiens hors pair dans des registres inédits
Au sein d’une évocation de la vie scolaire, le cinéaste choisit aussi de pénétrer dans la salle des professeurs. Sans doute comme il le confie pour assouvir un rêve de gosse et d’ancien élève et percer ainsi ‘le secret derrière la porte’. La caméra indiscrète suppose une approche plus intime des joies, des tourments voire des échecs de chacun des protagonistes de cette aventure commune, parfois rugueuse, parfois dissonante, toujours passionnée.
Lié par une ‘vieille’ complicité et une amitié affectueuse tissée au fil des fictions précédentes, Thomas Lilti confie sans hésiter le rôle du professeur de mathématiques débutant à Vincent Lacoste, qu’il estime apte à construire un personnage allant de l’inexpérience à la maturité après une saine remise en question suscitée par le conflit avec un élève. Un exemple, parmi d’autres membres de la famille d’acteurs que le réalisateur construit pas à pas. Ainsi a-t-il voulu proposer à François Cluzet le personnage d’un prof à la fois usé et révolté, solitaire et tourmenté, débordant de bienveillance à l’égard de ses collègues. Thomas Lilti cherche encore le pas de côté ou le contre-emploi en imaginant, une comédienne avec qui il a déjà travaillé sur un personnage rigide et distant dans la série ‘Hippocrate ‘, Louise Bourgoin, dans la peau d’une prof échouant à nouer des liens avec ses élèves et à transmettre, tandis que Adèle Exarchopoulos, pour la première fois dans l’univers du cinéaste, s’impose à lui dans le rôle d’une enseignante concrète dans son travail, à la bonne distance avec ses élèves, disposant d’une forme d’autorité conciliant l’affection et la rigueur.
Qu’ils soient comédiens aguerris, familiers ou moins connus, différents par leur âge ou leur expérience du jeu, le cinéaste dit vouloir composer ainsi le portrait intergénérationnel d’une profession à vocation universelle, laquelle prend cependant des visages multiples a fortiori aujourd’hui.
L’ambitieux propos de Thomas Lilti sur l’enseignement
Sans vouloir épater la galerie, sous des allures de fiction réaliste teintée de comédie, oscillant de la joie au désarroi, voyageant de l’intime au collectif, « Un métier sérieux » ne traite pas son sujet, -l’enseignement et ceux qui le font vivre-, à la légère. Le réalisateur veut souligner le rôle majeur d’un ‘service public’ en crise, les nobles missions d’une institution qui se soucie peu de ses serviteurs et les amène à mettre à l’épreuve leur vocation, à chercher du sens à leur métier dans le souci de l’autre, de l’apprentissage du savoir et du lien social malgré le dépérissement de leur légitimité, le manque de considération pour leur responsabilité émancipatrice.
« Un métier sérieux », entreprise salutaire, n’engendre cependant pas la mélancolie. Le nouveau film de Thomas Lilti pourrait bien semer le trouble chez les adeptes inconditionnels d’accès directs et alternatifs aux connaissances en direction, sans médiation, des ‘digital natives’, en lieu et place des enseignants en chair et en os engagés coûte que coûte dans la plus belles des batailles jalonnant le parcours éducatif propice à l’émancipation des élèves : leur transmettre ‘le goût de l’autre’, leur apprendre à vivre.
« Un métier sérieux », de Thomas Lilti au cinéma dès le 13 septembre prochain.