Pourquoi l’Observatoire est-il remis en cause ?
Matignon doit préciser la mission qu’il entend confier à cette instance qui a su résister depuis 2013 aux manœuvres politiques, sans vraiment asseoir sa légitimité.
Voulu par Jacques Chirac, installé par François Hollande en 2013, l’Observatoire de la laïcité est appelé à évoluer. Après l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre, cette commission nationale directement rattachée au premier ministre a été la cible d’attaques virulentes de la gauche laïque qui lui reproche un manque de courage face aux menaces de l’islam radical.
Jean Castex a renoncé à désavouer ses responsables, le président Jean-Louis Bianco et le rapporteur général, Nicolas Cadène, mais alors que leurs mandats s’achèvent en avril, Matignon a fait savoir qu’il rendra des arbitrages pour redéfinir ses missions. Doté d’un maigre budget de fonctionnement de 60 000 € et de six salariés, l’Observatoire a réalisé un considérable travail pédagogique. Il a publié nombre de guides, par exemple à destination de l’école ou de l’hôpital, produit des rapports annuels, animé la formation de milliers de fonctionnaires ou de militants du secteur associatif.
Mais sur le plan politique, l’Observatoire n’a jamais réussi à asseoir sa légitimité, étant une institution hybride – composée d’experts, de représentants des administrations et de parlementaires – sans avoir le statut de Haute Autorité indépendante. Ses avis, qui sont avant tout des expertises juridiques, ont été dénoncés dans le camp laïque pour leur manque d’audace. Le paroxysme de la confusion a été atteint début 2016 quand le premier ministre Manuel Valls le critiqua ouvertement. Depuis, Emmanuel Macron a renouvelé le mandat du duo Bianco-Cadène, mais la situation ne s’est pas clarifiée. Le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer s’est d’ailleurs doté de son propre « Conseil des sages » où siège un membre démissionnaire de l’Observatoire !
► Quelles sont les pistes envisageables ?
L’Observatoire doit-il devenir un simple organe opératoire destiné à coordonner l’action des ministères ou une instance d’expertise exclusivement composée de chercheurs ? Ou encore une cellule d’investigation comme le fut un temps la Miviludes contre les dérives sectaires ? Un haut fonctionnaire met en garde contre la création d’un « gendarme de la laïcité “qui n’aurait” ni l’expertise de la justice ni les moyens de la police ».
Invitée sur Radio J ce dimanche 13, la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa a affirmé avoir, à la demande du premier ministre, remit ses propositions pour en faire « une structure qui ne serait pas forcément un observatoire mais porterait la parole de l’État ».
L’ambitieuse ministre, qui rappelle avoir dans ses attributions la défense de la laïcité, semble avancer ses pions pour récupérer l’instance. Qu’elle y parvienne ou pas, la question de ses missions restera posée. Le dossier de l’islam radical est déjà piloté par le puissant comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), doté d’un budget important de 66 millions d’euros et rattaché au ministère de l’intérieur.
« Pourquoi veut-on casser un outil qui marche ? »…
…interroge le président de l’Observatoire de la laïcité, dont Marlène Schiappa a officialisé la disparition cette semaine devant les sénateurs.
Source : France Inter
« On la voyait venir depuis longtemps ». Jean-Louis Bianco a réagi ce dimanche sur Inter à la fin annoncée de l’Observatoire de la laïcité dont il est le président. La disparition de cet organisme créé en 2013 par Jacques Chirac a été officialisée ce mercredi 31 mars par Marlène Schiappa devant le Sénat. La ministre déléguée chargée de la Citoyenneté s’est en effet opposée à un amendement qui visait à inscrire l’existence de l’Observatoire dans la loi séparatisme. « Le mandat de l’équipe en place arrive à échéance début avril, après huit ans. Il ne sera pas reconduit car les préoccupations ont évolué », a-t-elle déclaré. Le gouvernement envisage ainsi, à la place, la création d’un Haut conseil à la laïcité doublé d’une administration de la laïcité pour « mailler le territoire ».
« Une vue apaisée »
Autonome bien qu’administrativement rattaché au Premier ministre, l’Observatoire de la laïcité est depuis plusieurs années au cœur de tensions. « Il y a pas mal de gens qu’on dérange parce qu’on est indépendant, qu’on apporte une vue apaisée », estime Jean-Louis Bianco. Lui qui préside l’organisme depuis sa mise en place en 2013, vante « un bilan extraordinaire » et des outils jugés « exceptionnels par les acteurs de terrain ». « Comme on associe à la fois des parlementaires, des experts, des fonctionnaires, nous fabriquons des consensus », martèle l’ancien ministre de Mitterrand.
« Pourquoi veut-on casser un outil qui marche ?
Les missions de l’organisme : éclairer les pouvoirs publics, fournir des données, et organiser ou valider des formations liées à la laïcité et à la gestion du fait religieux. Rapports, états des lieux, préconisations, mise au point de guides et ressources pédagogiques, font ainsi partie des actions entreprises ces sept dernières années. « On n’aurait jamais pu croire qu’un organisme qui venait de nulle part, composé de 4 salariés permanents avec un budget de fonctionnement de 59 000 euros, arriverait à prendre une telle place », insiste Jean-Louis Bianco. Son regret néanmoins : ne pas avoir progressé sur la formation des enseignants, un point pourtant clé pour l’avenir. « Ce n’est pas la faute de l’Observatoire, ce qui manque c’est une action collective », se défend-il.
Accusé de défendre trop mollement la laïcité
Certains accusent néanmoins l’Observatoire d’être davantage préoccupé par la lutte contre la stigmatisation des musulmans que par la défense de la laïcité. Jean-Louis Bianco avait ainsi été mis en cause après l’assassinat de Samuel Paty, au mois d’octobre. D’autres, à l’image d’un collectif d’acteurs de terrain et d’intellectuels, voient au contraire l’organisme comme « un rempart de la République dans de nombreux quartier populaires. La gauche soupçonne dès lors l’exécutif de vouloir bâillonner une instance ayant pris des positions divergentes.
Alors que, dans le cadre de la loi séparatisme, les sénateurs ont voté cette semaine un amendement interdisant le port du voile aux accompagnatrices de sorties scolaires, Jean-Louis Bianco émet ce dimanche une mise en garde : « Ce qui compte, ça n’est pas les signes, pas les tenues. Ce sont les actes et les paroles contraires aux principes de la République. Là, ce doit être la tolérance zéro. Sur cette base-là, le gouvernement ne donnera pas l’impression qu’il est discriminatoire et anti-musulmans. C’est l’islam politique qui doit être visé. »
Qu’est-ce que l’Observatoire de la laïcité, l’institution que l’exécutif souhaite « renouveler » ?
par Léa Guedj publié le 21 octobre 2020
Matignon souhaite faire « évoluer » le statut et les missions de cet organe consultatif, en ciblant particulièrement sa direction. Le Premier ministre estime son action insuffisante, mais que fait vraiment cet observatoire ?
Au lendemain d’un article paru dans Le Point évoquant la probable éviction du rapporteur général de l’Observatoire, Nicolas Cadène, Matignon précise sa position. Le Premier ministre Jean Castex estime que l’institution n’est pas tout à fait « en phase » avec le futur projet de loi de lutte contre les séparatismes et souhaite la faire « évoluer ».
« On ne peut pas se contenter de la publication de rapports et de guides pédagogiques pour accompagner l’action du gouvernement », ajoutent les services du Premier ministre. « Il doit être possible en France de défendre la laïcité sans être taxé d’islamophobie et sans être instrumentalisé politiquement. » Mais à en croire les communications de l’Observatoire de la Laïcité, ses missions sont bien plus larges et sa composition « transpartisane ».
Un rôle d’analyse et de consultation
Voulu en 2007 par le président Jacques Chirac, à la suite du débat sur le voile à l’école, l’Observatoire ne fonctionne que depuis 2013. Il est composé de quatre parlementaires – deux de l’opposition et deux de la majorité – nommés par les présidents des assemblées, ainsi que des membres nommés par les ministères de la Santé, de l’Outre-mer, des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Justice et de l’Éducation nationale. S’y trouvent aussi des « personnalités qualifiées » (juristes, doctorants, essayistes …), nommées par le Premier ministre, à l’instar du rapporteur général et du président de l’Observatoire.
Sa mission principale est ainsi présentée sur le site : « Assister le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France ». Chaque année, il remet un rapport au Premier ministre et au Président de la République, mais pas seulement. Les membres de l’Observatoire se déplacent sur le terrain (environ 1 000 déplacements officiels réalisés en 7 ans), dans des établissements scolaires, des associations de quartier, des établissements médico-sociaux, des entreprises etc. Ils auditionnent et mènent des études, puis adoptent des avis, pour la plupart à l’unanimité (une trentaine adoptés depuis 2013).
Les avis de l’Observatoire inspirent des évolutions législatives
L’Observatoire répond quotidiennement à des questions concrètes sur la laïcité, posées par mail ou par téléphone par des citoyens, élus, administrations ou collectivités locales… Il lui arrive également d’être sollicité par les tribunaux en amont de décisions de justice. Son avis sur les crèches de Noël dans les mairies avait ainsi été retenu en 2016 par le Conseil d’État, permettant leur installation lorsqu’elles présentent « un caractère culturel, artistique ou festif ».
Par le biais de ses avis et analyses transmis aux ministères, l’Observatoire de Laïcité revendique la paternité de certains dispositifs législatifs, comme la circulaire de janvier 2020 « relative à la protection de la laïcité et à la lutte contre la radicalisation et le communautarisme », ou encore le décret de 2017 qui oblige les aumôniers militaires, hospitaliers et pénitentiaires nouvellement recrutés, à suivre une formation civile et civique sur les valeurs de la République.
Plus récemment, l’Observatoire s’est félicité des mesures annoncées par la Président de la République le 2 octobre, fixant les grandes lignes du futur projet de loi contre les séparatismes, « qui reprennent l’ensemble de nos préconisations rédigées dans notre champ de compétences », écrit-il dans un communiqué. L’Observatoire cite par exemple « l’extension du contrôle financier aux associations constituées sous le régime de la loi de 1901, dès lors qu’elles gèrent un culte », le « renforcement du contrôle de la transparence des financements des associations qui gèrent un culte », le « refus de l’enseignement à domicile qui constituerait de fait des « écoles clandestines » », ou encore la signature d’une charte de la laïcité par les associations subventionnées.
Une position purement juridique ?
À travers ses prises de position, l’Observatoire répète vouloir « s’en tenir à l’équilibre posé par la loi du 9 décembre 1905 », en s’appuyant notamment sur le fait que « l’Observatoire de la laïcité n’a jamais été mis en défaut sur ses rappels du droit et ses avis ont été confirmés par les plus hautes juridictions ». Mais pour les détracteurs de son président, Jean-Louis Bianco, et de son équipe, ils en font une interprétation trop stricte.
L’ancien Premier ministre Manuel Valls a ainsi estimé que cette commission s’était rendue « coupable de tant de renoncements ». « Je ne cesse d’alerter : les pouvoirs publics ne peuvent pas s’appuyer sur cette institution pour promouvoir la laïcité. Il est temps d’agir », a-t-il insisté auprès de l’AFP. Il fait partie des défenseurs d’une vision plus extensive de la laïcité, qu’ils estiment plus adaptée au contexte de menace terroriste, et souhaitent imposer le principe de neutralité dans l’espace public au sens large.
L’un des épisodes qui illustrent cette divergence de conception de la laïcité s’est produit à l’été 2016. L’Observatoire, par la voix de son président, Jean-Louis Bianco, et de son rapporteur général, Nicolas Cadène, s’oppose alors aux arrêtés municipaux anti-burkini, attaqués par le Comité de lutte contre l’islamophobie en France (CCIF).
Sur cette vidéo, Nicolas Cadène justifie la position de l’observatoire : « Dans une piscine publique, le burkini est généralement interdit mais pour des raisons d’hygiène ou de sécurité. Sur la plage, chacun est libre de venir habillé comme il le souhaite, dès lors qu’il ne dissimule pas son visage. »
En septembre 2020, il appelle à « faire la distinction entre des débats d’idées et le cadre légal », en réaction au boycott, par une députée En Marche, de l’audition de la vice-présidente de l’Unef dans le cadre d’une commission à l’Assemblée, parce que celle-ci porte un voile.
« Cette représentante étudiante n’exerce pas de mission de service public, donc elle n’est pas soumise à la neutralité », explique Nicolas Cadène sur BFMTV. Une prise de position qui fait écho à celle qu’il défendait en octobre 2019, lorsque le groupe Les Républicains proposait une loi visant à interdire le port de signes religieux pour les parents accompagnant les sorties scolaires.
Là encore, le rapporteur rappelle le droit sur Twitter : « Le port de signes ostensibles (dont voile) est interdit aux seuls élèves à l’école et en sorties (car mineurs en apprentissage), pas aux parents. Les enseignants sont soumis à la neutralité car agents du service public. Pas les parents qui n’apportent qu’une aide logistique bénévole. »