Le tsunami numérique

  

 

Rappelez-vous Kodak. Une multinationale devenue en quelques années une PME parce qu’elle n’a pas voulu évoluer. C’est le sort que pourrait bien connaitre l’Education nationale, prédit Emmanuel Davidenkoff. Spécialiste écouté de l’éducation, il analyse l’effet d’un tsunami numérique sur le système éducatif bouleversant ses bases économiques, ses méthodes, ses objectifs même. On est là devant un des grands livres de l’année. Le tsunami Davidenkoff va-t-il faire bouger l’Ecole ?

 

Un tsunami numérique ?

 

 « Un tsunami s’apprête à déferler sur nos écoles, nos universités, nos grands écoles… L’écosystème qui a converti en quelques décennies des milliards d’êtres humains au smartphone et à Internet a mis toute sa puissance de travail et d’innovation au service d’un objectif : réinventer l’éducation ». Pour Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de l’Etudiant, ce tsunami va changer le modèle économique de l’enseignement, amener la prise de pouvoir de l’usager sur service public et changer le mode de fonctionnement de la structure, la faisant passer du vertical à l’horizontal. C’est cette dynamique de transformation globale qui justifie le mot « tsunami » avec sa puissance financière et innovante.

 

Une révolution culturelle

 

A l’appui de sa thèse d’un changement global « plus lointain que ne l’imaginent les promoteurs du numérique éducatif mais plus proche que ne le conçoivent parents et enseignants », E. Davidenkoff met toute sa connaissance du secteur éducatif. Il montre par exemple comment les MOOCs sont en train d’achever la mondialisation de l’enseignement supérieur. Mais il s’attache aussi à montrer que cette évolution impose de changer aussi le logiciel de l’Ecole. Avec le tsunami numérique arrivent de nouvelles valeurs. Par exemple la capacité à innover, l’expression artistique deviennent aussi importants que les valeurs traditionnelles du système. La coopération devient une valeur réellement prise en compte dans un système qui l’ignorait superbement.

 

Une marchandisation de l’école ?

 

Mais le noyau dur de la thèse d’E Davidenkoff, c’est que le tsunami numérique apportera une privatisation de l’école. « Le numérique… va faire plonger le sprix et abattre la principale barrière dont l’Education nationale bénéficie pour empêcher le privé de se développer dans le primaire et le secondaire comme il l’a fait dans le supérieur… Que les prix baissent (dans  le privé hors contrat) et il n’y a pas de raison que certaines familles ne le considèrent pas comme un choix possible ».

 

L’Education nationale « obscurantiste »

 

« A force de ne pas entendre et valoriser ceux et celles qui en son sein innovent, l’Education nationale risque le même destin que Kodak ».  E Davidenkoff décrit une Education nationale engoncée dans ses dogmes, « vivant dans un ahurissant obscurantisme » et « une incapacité à se penser différemment ». L’école tente bien des innovations mais est incapable de les soutenir et de les accompagner dans le temps, éreintant inutilement ses personnels. E. Davidenkoff donne de nombreux exemples de cette effrayante vision de l’Ecole et pointe du doigt des responsables, dont les syndicats. C’est donc sur un appel au changement que se clot le livre. « L’Education nationale et l’enseignement supérieur s’ils veulent être à la hauteur de l’investissement que le pays leur consent doivent s’engager sans attendre dans la voie de réelles réformes. Ils en ont les ressources. Puissent-ils, contrairement à Kodak, comprendre que ces dernières sont avant tout humaines ».

 

Parfait connaisseur de l’Ecole, Emmanuel Davidenkoff nous donne un livre fort bien documenté. Il est aussi écrit dans un style direct et enlevé. Alors que le déclin de l’école semble se faire dans l’indifférence du public, « Le tsunami numérique » sera-t-il le début de la réaction au Pisa choc ?

 

François Jarraud

 

Emmanuel Davidenkoff, Le tsunami numérique. Education. Tout va changer! Etes-vous prets ?, Stock, ISBN 9 782234 060548

 

Présentation

 

 

Emmanuel Davidenkoff :  » L’Education nationale finira par libérer les énergies qu’elle a en elle »

 

A l’occasion de la sortie de son livre « le tsunami numérique », Emmanuel précise sa pensée sur l’Education nationale et son évolution.  Pour lui tout est réuni pour un changement de logiciel dans l’Ecole.

 

Vous évoquez un tsunami numérique qui obligerait l’école à changer. On disat cela dans les années 1990 à propos de l’informatique éducative. Et puis rien ne s’est produit. Pourquoi aujourd’hui ce serait différent ?

 

 Un tsunami commence par une petite vague et on en est là pour le numérique. Ce livre cherche les signaux faibles qui annoncent les changements. Ma conviction s’est construite en allant dans la Silicone Valley. J’y ai découvert les progrès de l’intelligence artificielle. On est à deux doigts d’arriver à produire des outils nouveaux qui permettront d’industrialiser l’individualisation et qui aideront vraiment à apprendre. Par exemple le logiciel de la Khan Academy est déjà capable de repérer des types d’erreurs à plusieurs mois de distance. Il peut vous dire que vous vous trompez dans un problème à cause d’une erreur ancienne. C’est quelque chose qu’un professeur dans la situation actuelle des classes ne peut pas faire car il a trop d’élèves. Les progrès de l’intelligence artificielle sont fabuleux. Ce qui est nouveau c’est qu’on les applique à l’éducation. Par exemple, aux Etats-Unis on teste la correction automatique de devoirs complexes, du type de la dissertation. Ce n’est aps encore au point mais ça le sera dans quelques mois.

 

Aujourd’hui le problème de l’école c’est les sorties sans qualification, le décrochage. Le numérique peut-il apporter des réponses ?

 

Ces avancées numériques sont en train de changer l’enseignement. A partir du moment où l’enseignant sera libéré de certaines tâches, il pourra se consacrer davantage à l’élève et lui accorder plus de temps et d’attention. Il pourra donner du sens aux apprentissages, ce que la machine ne peut pas faire.  Enfin les outils numériques sont ludiques. Ils peuvent raviver le désir d’apprendre chez les jeunes. Si on rend les apprentissages moins ennuyeux on réduit le taux de décrochage. Si on dégage du temps de correction pour les enseignants on leur permet de mieux se consacrer au suivi des élèves.

 

Dans le supérieur, avec les MOOCs on voit une nouvelle carte des formations se dessiner. On voit arriver dans le monde scolaire des offres numériques d’enseignement prêtes à l’emploi. La mondialisation peut-elle gagner le scolaire ?

 

A vrai dire les MOOCs ne sont pas vraiment innovants. Mais ils peuvent permettre de consacrer plus de temps aux étudiants à partir du moment où les cours sont enregistrés. L’innovation viendra le jour où les Moocs et les réseaux de recherche d’emploi croiseront leurs données. Quand on pourra attester que tel MOOC a un bon taux d’insertion dans la vie active. Là cela créera une nouvelle concurrence dans un système universitaire déjà concurrentiel.

 

Dans le secondaire, ce qui pourra faire bouger les choses c’est si de la même façon une entreprise arrive à réunir contenus et validation. Des gens pourront s’en emparer pour créer leur école. Avec le numérique la machine pourra remplacer l’enseignant dans certaines taches et donc on pourra avoir des écoles moins chères. Mais il y aura toujours besoin d’une école  ne serait que pour socialiser les enfants. Pour les élèves en difficulté la solution sera toujours dans l’investissement humain. Mais pour les enfants des classes moyennes le marché est considérable.

 

Cela changera-t-il la façon d’enseigner, les valeurs du système ?

 

On est là devant une autre facette du numérique qui touche à la nécessité de valider d’autres formes d’intelligence. Relisons P. Aghion et E. Cohen. Si on veut avoir une économie de l »innovation il faut des personnes capables d’imagination, susceptibles de suivre leurs intuitions. Cela suppose une autre éducation et la reconnaissance d’autres valeurs dans el système scolaire que la répétition. Par exemple cela remet la pratique artistique à l’honneur. Ou encore la coopération. Pensez que même dans les TPE on finit par noter individuellement les élèves du groupe. A aucun moment dans l’éducation nationale on ne dit que la vie c’est faire avec les autres. C’est énorme !

 

Au final êtes-vous optimiste ou pessimiste sur l’avenir de l’Ecole ? Le système éducatif peut il vraiment changer ?

 

J’aime beaucoup la conclusion d’Antoine Prost dans son dernier livre. Quand je regarde les  salles de classe,  l’imagination et l’énergie de certains, je suis très optimiste. Quand je les écoute raconter les bâtons dans les roues que l’administration dépose, l’obsession du partout pareil, je suis catastrophé. Mais il faut être optimiste pour s’intéresser aux questions d’éducation. Je crois que l’Education nationale finira par libérer les énergies qu’elle a en elle même si cela ne conforte pas son modèle.

 

Ce qui m’inquiète c’est que ces enjeux mériteraient un vrai débat public. La refondation aurait pu le permettre mais cela ne s’est pas produit. Le choc pisa n’est pas davantage venu. En fait il y a un consensus sur le système. Il est partagé même par ceux qui pâtissent du système. Il y a donc un gros travail d’explication à faire.

 

Propos recueillis par François Jarraud