Les inégalités vont croissantes
Le fantasme d’une classe où tous les élèves sont au même niveau, où la docilité est de mise chez chacun d’eux, où le désir d’apprendre l’emporte sur l’inconfort d’un pupitre sur lequel l’enfant est scotché 6 heures par jour n’existe pas et n’a jamais existé.
Ce n’est pas l’école qui est inégalitaire mais la société. L’école n’est qu’un symptôme et un symptôme parmi d’autres.
Le meilleur levier que possède un enseignant pour remédier aux situations générées par les inégalités sociales, c’est l’équité.
Il s’agit simplement de ne plus considérer la classe comme un tout, mais de distinguer chacun et de lui apporter ce dont il a besoin pour entrer dans les apprentissages.
L’enseignant n’est pas un technicien qui alimente une machine en savoirs comme on chargerait en charbon la gueule d’un haut fourneau. L’enseignant est un ingénieur qui a devant lui autant de manettes que d’élèves et qui dose en fonction de différents paramètres ce qui est bon pour l’un, pour l’autre et pour chacun.
Les fractures sociétales d’aujourd’hui obligent les enseignants à revisiter leur façon d’enseigner. À bien y regarder, tous les grands pédagogues, un jour du temps, ont fait de même : Janusz Korczak, John Dewey, Maria Montessori, Fernand Oury, Johann Heinrich Pestalozzi, Célestin Freinet, Jean Bosco, Alix Leclerc… pour ne citer que ceux-ci.
Pmg
Dans les DNA le 03 février 2023 par JML
Le ministre Pap Ndiaye a promis des mesures pour favoriser la mixité sociale, de plus en plus mise à mal dans l’école publique. L’indice de position sociale (IPS), utilisé par le ministère de l’Éducation, révèle l’ampleur des fractures.
Il l’avait promis pour janvier. C’est finalement le 15 mars que Pap Ndiaye présentera son plan pour la mixité sociale, le temps de mener des concertations avec les collectivités et les syndicats, mais aussi l’enseignement privé, a-t-il indiqué jeudi matin sur France Inter.
Le sujet tient à cœur au ministre de l’Éducation nationale, qui en a fait son cheval de bataille. « Une école qui, tout en la promettant, n’accorde pas l’égalité, produit non seulement des injustices, mais aussi une défiance et un sentiment de colère », avait-il fustigé peu avant Noël, dans une tribune au Monde.
La France est régulièrement pointée du doigt dans les études du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) comme un des pays de l’OCDE où l’origine sociale pèse le plus sur les performances scolaires. Dénoncé depuis des années – sinon des décennies – le phénomène n’a rien de nouveau. Ce qui l’est davantage, c’est l’existence d’un indicateur permettant de le quantifier : l’IPS.
Une clé pour l’éducation prioritaire
Calculé pour chaque établissement, cet indice confirme souvent plus qu’il ne révèle. Plus l’IPS d’un établissement est élevé, plus il compte d’élèves évoluant dans un contexte familial propice à la réussite scolaire.
Sans grande surprise, les écoles et collèges possédant les IPS les plus faibles forment l’essentiel des établissements classés en REP (réseau d’éducation prioritaire) ou REP +, les dispositifs d’éducation prioritaire qui permettent aux établissements concernés de bénéficier de moyens supplémentaires. L’IPS moyen d’une école en REP est de 83(*) , et de 73 en REP +, alors que la moyenne nationale se situe plutôt à 104.
Curieusement, certains établissements bénéficient aussi de ces dispositifs malgré un indice élevé, parfois même supérieur à 120. Il s’agit essentiellement d’établissements parisiens. À noter toutefois que le classement en « réseau d’éducation prioritaire » ne dépend pas seulement de la profession des parents : d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte.
Une première sélection après le collège
L’indice met aussi en valeur certains « déterminismes sociaux » évoqués par Pap Ndiaye. L’IPS moyen est de 104 au collège. Mais à partir du lycée, la bifurcation des élèves les moins favorisés vers l’enseignement professionnel est flagrante : alors que l’IPS moyen atteint 118 dans les lycées d’enseignement général et technologique, il tombe à 85 dans les lycées professionnels.
Parmi les 360 lycées possédant l’IPS le plus élevé (dont les deux tiers sont privés), on compte un seul lycée professionnel, et seulement une quinzaine de lycées polyvalents.
Concentration des élites dans le privé
La comparaison des IPS permet enfin de confirmer la surreprésentation des enfants issus de milieux favorisés dans le secteur privé. Par rapport au public, l’IPS est supérieur de 16 points dans les écoles privées sous contrat, de 19 points dans les collèges, et de 14 dans les lycées d’enseignement général.
Localement, les écarts peuvent être plus énormes encore. Pour les communes de 100 000 habitants, c’est notamment le cas à Perpignan, ville parmi les plus pauvres de France, où huit collèges publics (IPS moyen de 74) rivalisent avec quatre collèges privés (IPS moyen de 122).
Mulhouse et Strasbourg complètent le podium des villes où les inégalités entre collèges publics et privés sont les plus marquées.
(*) Calculs effectués sur la base des chiffres 2021-2022 mis à disposition par le ministère
L’IPS, l’outil qui détermine le statut social
Créé en 2016 par le ministère de l’Éducation nationale, l’indice de position sociale (IPS) se veut une sorte de thermomètre des chances de réussite scolaire des élèves. L’indice est compris entre 38 à 179, avec une moyenne nationale légèrement supérieure à 100. Pour le calculer, l’Éducation nationale attribue à chacun des deux parents un certain nombre de points en fonction de leur profession et de leur catégorie socioprofessionnelle : 54 pour un chômeur, 95 pour un artisan, 157 pour un ingénieur…
Puis ces valeurs sont croisées, en tenant compte des pratiques culturelles, des conditions matérielles ou de l’implication dans l’éducation propres à chaque combinaison (déterminées à partir du suivi de plusieurs milliers d’élèves). L’idée était de disposer d’un indice chiffré, qui permette tout aussi bien d’appréhender le niveau social d’une classe ou d’un établissement, que leur mixité sociale. À indice égal, un collège où les IPS des élèves varieraient de 50 à 150 serait ainsi beaucoup plus diversifié socialement qu’un autre où tous les IPS seraient compris entre 90 à 110.
Redoutant que leur publication n’incite les parents à contourner la carte scolaire, l’Éducation nationale avait décidé de garder secret l’indice de chaque établissement. Un jugement du tribunal administratif de Paris l’a forcé à le faire : depuis l’an dernier, les IPS des 32 091 écoles, 6 967 collèges et 3 607 lycées français sont disponibles sur le site du ministère.
Mixité sociale : « la bataille est inégale entre le public et le privé »
Le professeur de sociologie Marco Oberti revient pour nous sur les inégalités sociales entre les établissements scolaires et l’indicateur IPS.
Propos recueillis par Élodie BECU
La France est régulièrement pointée du doigt dans les études du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) comme un des pays de l’OCDE où l’origine sociale pèse le plus sur les performances scolaires. Dénoncé depuis des années – sinon des décennies – le phénomène n’a rien de nouveau. Ce qui l’est davantage, c’est l’existence d’un indicateur permettant de le quantifier : l’IPS. Marco Oberti, professeur de sociologie à Sciences Po, nous répond.
Que peut changer la publication de l’indice de position sociale (IPS), qui met des chiffres sur les inégalités sociales entre les établissements scolaires ?
« Il existait déjà d’autres indicateurs avant l’IPS mais ce dernier présente un avantage : intégrer des dimensions autres que la simple catégorie sociale des parents. Cet indicateur, plus fin, intègre des éléments de condition sociale, de taille de l’appartement, d’accès à un ordinateur, le capital culturel. Les acteurs – associations, parents d’élèves – disposent à présent d’un indicateur objectif qui leur permet dans certains cas, de demander davantage de moyens, et d’être, par exemple, intégrés au dispositif du réseau d’éducation prioritaire (REP). Mais c’est à double tranchant : à l’inverse d’autres parents peuvent s’en servir pour consolider des pratiques d’évitement scolaire. »
Les inégalités sociales territoriales dans l’éducation se sont-elles aggravées ?
« Dans la plupart des grandes villes, la ségrégation n’a pas augmenté de manière significative au cours des quinze dernières années. En revanche, la différence de composition sociale entre le public et le privé a fortement progressé. Le privé devient de plus en plus sélectif socialement et scolairement, ce qui contribue de plus en plus à l’explication globale de la ségrégation scolaire. »
Pourquoi cette fracture sociale entre public et privé s’est amplifiée ?
« La différence de performance et de composition sociale a joué comme un élément d’anxiété depuis une quinzaine d’années. Beaucoup de parents lient le climat scolaire d’un établissement à sa composition sociale et ethnique. Ce facteur joue considérablement en faveur de l’enseignement privé. La bataille est inégale entre le public – qui doit accueillir tous les élèves de son secteur scolaire – et le privé qui bénéficie à 75 % de fonds publics, et n’est pourtant soumis à aucune obligation. Il peut donc sélectionner les élèves. Les parents voient bien qu’il y a deux poids, deux mesures. Mais depuis la grande manifestation pour la défense de « l’école libre », les gouvernements, de gauche comme de droite, sont très frileux quand il s’agit de toucher à l’école privée, car c’est extrêmement risqué politiquement. »
Quels leviers actionner pour lutter contre ces inégalités ?
« Pourquoi le privé ne contribuerait-il pas, sous une forme ou sous une autre, à une sectorisation scolaire ? On pourrait imaginer de moduler le montant des ressources allouées au privé en fonction de leurs efforts pour assurer plus de diversité sociale et ethnique dans leurs établissements. D’autres leviers sont possibles dans le public, comme les secteurs multicollèges, pour obtenir la même composition dans les établissements d’un secteur. Ainsi, les parents sont rassurés sur la composition sociale et l’offre scolaire du collège par rapport aux autres du secteur. Autre possibilité : la montée alternée –les élèves font leur classe de 6e et 4e dans un collège et leur classe de 5e et 3e dans l’autre. L’ensemble des enfants d’un secteur élargi se retrouvent ainsi mélangés dans le même établissement. Affecter des options scolaires attractives dans des collèges en difficulté est une autre piste qui a été explorée. Mais cela marche moins bien car il faudrait l’accompagner d’autres mesures pour agir sur le profil social de l’établissement. Et, fondamentalement, il faut articuler davantage les politiques urbaines – du logement et de l’habitat – et les politiques scolaires. Il faut garantir une diversité en amont dans les espaces résidentiels plutôt que de demander a posteriori à l’école d’avoir plus de mixité. »
Vignette : Photo DNA de Vanessa Meyer