Quand le corps est atteint la foi est bousculée
Pologne, décembre 1945. Mathilde Beaulieu, une jeune interne de la Croix-Rouge chargée de soigner les rescapés français avant leur rapatriement, est appelée au secours par une religieuse polonaise. D’abord réticente, Mathilde accepte finalement de la suivre dans son couvent où trente Bénédictines vivent coupées du monde. Elle découvre que plusieurs d’entre elles, violées par des soldats soviétiques, sont sur le point d’accoucher. Peu à peu, se nouent entre Mathilde, athée et rationaliste, et ces religieuses, attachées aux règles de leur vocation, des relations complexes que le danger, la clandestinité des soins et de nouveaux drames vont aiguiser…
Après « Gemma Bovery » et « Perfect Mothers », Anne Fontaine livre un nouveau long-métrage au sujet grave. Au casting des « Innocentes », on retrouvera entre autres, Lou de Laâge, Vincent Macaigne et Agata Buzek.
Le cinéma Star Saint-Exupéry à Strasbourg propose une avant première du dernier film d’Anne Fontaine « Les Innocentes » le jeudi 14 janvier à 20h15 en présence de la réalisatrice.
Ce film, qui sortira sur les écrans le 10 février, touche à la question de l’expression de la foi. Anne Fontaine, la réalisatrice, a été conseillée pour l’écriture de son film par le Père Jean-Pierre Longeat, ex-prieur de l’abbaye de Ligugé et président de la Conférence des Religieux et religieuses de France, la CORREF.
Sous la condition de réservation, un tarif préférentiel de 5 euros est proposé aux personnes venant an nom du diocèse. Le nombre des places étant limité. Indiquez votre présence par mail à paraboles@diocese-alsace.fr .
Quand le corps est atteint la foi est bousculée
Source : Alice Papin 25/02/1016 – Le Monde des Religions
« Les Innocentes », long-métrage relatant l’histoire de viols commis sur des religieuses dans la Pologne d’après-guerre, émeut les spectateurs depuis sa sortie au cinéma en février. L’occasion de revenir sur ce drame avec Josselin Tricou, doctorant en sociologie, spécialiste des questions de genre au sein du catholicisme, qui nous parle d’agressions sexuelles dans l’Église, de chasteté mais aussi de foi.
Au mois de février, les salles obscures lèvent le voile sur l’histoire vraie des « Innocentes ». Ces sœurs bénédictines polonaises qui ont été violées par des soldats russes, à l’issue, de la Seconde Guerre mondiale, au sein même de leur couvent. Pour immiscer les spectateurs à l’intérieur de ce drame, et des problématiques qu’il soulève, la cinéaste Anne Fontaine fait le choix de la nuance. Elle montre des religieuses qui, blessées dans leur intimité, développent des réactions plurielles, de l’infanticide au bonheur de la maternité. Le sociologue Josselin Tricou nous révèle les réalités qui se cachent derrière cette fiction.
Dans « Les Innocentes », nous découvrons des cas de viols dans un couvent catholique polonais, en 1945. Au regard de l’histoire, ce drame est-il unique ?
Cette situation est intéressante du fait qu’elle soit connue, la discrétion étant souvent de mise autour de tels faits. Il est fort possible que d’autres sœurs aient été violées dans un contexte de guerre sans que ces drames n’aient été ébruités. Car les religieuses n’ont pas échappé aux viols massifs qui se déroulent en temps de conflit. Toutes les armées, lorsqu’elles envahissent un pays, s’attaquent aussi au corps des femmes. En Libye, par exemple, les partisans de Mouammar Kadhafi ont utilisé sciemment le viol comme une arme de guerre. La seconde particularité de cette histoire tient au fait que ces viols ont été commis par des soldats russes, c’est-à-dire des personnes inconnues de ces sœurs. Alors que la grande majorité des viols perpétrés sur des religieuses, et dont nous avons connaissance, sont commis par des prêtres ou des évêques, donc des proches des victimes, comme la plupart des agressions sexuelles aujourd’hui.
Des critiques de cinéma affirment que ce viol constitue une double peine pour ces bénédictines à cause de leurs vœux religieux et notamment celui de chasteté. Qu’en pensez-vous ?
Non, je ne suis pas si certain. Un viol constitue une agression exercée contre une personne dans son intimité, qu’importe qu’il s’agisse d’une religieuse, d’une laïque ou même d’un homme. Attention à l’implicite moralisant : un viol serait plus traumatisant pour une « vierge » que pour une « putain ». Il s’agit avant tout d’une violence. Quant à la peur du rejet social éprouvée par ces sœurs, elle est vécue par l’ensemble des femmes violées. Néanmoins, l’agression sexuelle à l’encontre de ces bénédictines entre en imbrication avec une autre violence, celle exercée par l’institution catholique de l’époque. Dans l’après-guerre, l’Église n’a de cesse de réprimer le corps et la sexualité. Dans les séminaires et les couvents, il est encore d’usage, par exemple, de dormir les mains hors des draps pour éviter tout risque de pratiques impures. Cette obsession contre la sexualité joue évidemment un rôle dans la réaction de ces femmes.
Dans le film, les sœurs se questionnent sur leur croyance en Dieu. Lorsque le corps d’un religieux est touché, doute-t-il plus de sa foi ?
Évidemment ! Quand le corps est atteint, la foi est bousculée. Car celle-ci se développe avant tout par le corps à travers des pratiques religieuses ou des rituels. Par leur vie spirituelle réglée et collective, cette corporéité de la foi est très forte chez les frères et les sœurs. Ce processus d’appropriation de savoir-faire et de savoir-être par l’exercice d’une profession se nomme en sociologie « une incorporation ». Quant au doute, comme le montre très justement ce film, il est permanent. La foi n’est pas un objet possédé, que nous détenons ou non. Dans une scène, une sœur déclare que la foi, c’est 24 heures de doute pour une minute de certitude. C’est très juste.
Ce couvent vit dans la peur permanente que les viols et les grossesses soient révélés au monde extérieur. Comment expliquer cette crainte ?
Deux logiques régissent le comportement de ces servantes de Dieu. La première est celle de l’ordre du genre qui installe une hiérarchie entre les hommes et les femmes dans toute société. A cause de cette domination sociale, qui s’exacerbe en temps de guerre, seules les femmes supportent la culpabilité des pulsions violentes des hommes. Le viol s’inscrit dans ce processus. Ainsi, ces religieuses, se sentant responsables, se murent dans un silence honteux, coupable. La seconde logique est ecclésiale, c’est celle du maintien de l’ordre et de la crainte du scandale. Elle est incarnée dans le film par le personnage de la mère supérieure, capable du pire pour éviter le déshonneur du couvent. Dans l’Église, jusqu’à maintenant, le scandale était souvent perçu comme plus grave que les actes, car toute l’institution religieuse fait corps ensemble. Si un de ses membres tombe, il entraîne ses confrères dans sa chute. Cette logique est encore apparue en octobre dernier lorsque le prêtre polonais Krzysztof Charamsa a fait son coming-out à la télévision, la veille du synode sur la famille. Sur Internet, d’autres prêtres ont commenté que ce qui était perturbant n’était pas tant que ce prêtre ait des pratiques homosexuelles, mais qu’il les revendique publiquement.
Une des scènes montre le malaise d’une sœur à être auscultée par la médecin de la Croix-Rouge. Cette gêne peut-elle être justifiée par le vœu de chasteté ?
Selon moi, cette réaction relève avant tout du manque d’éducation sexuelle de ces sœurs. A cette époque, la sexualité ne s’apprend que par le mariage. A cela, s’ajoute l’obsession ecclésiale pour la pureté du corps déjà évoquée auparavant. Néanmoins, la théologie catholique a évolué sur ces questions. Aujourd’hui, la chasteté dépasse la seule abstinence sexuelle et n’est plus réservée qu’aux prêtres et aux religieux. Il s’agit d’un engagement de toutes et de tous y compris dans le mariage. Pour les prêtres, cette définition revêt aussi un sens plus large. Si nous interrogeons un père à ce sujet, il risque d’évoquer l’interdiction de convoiter du regard une paroissienne pour en faire un objet de son désir de pouvoir sexuel ou économique.
Selon vous, si le drame dépeint dans le film se déroulait aujourd’hui, quelles évolutions pourrions-nous constater ?
Cette situation pourrait se renouveler à notre époque. Car des viols de guerre se déroulent encore tous les jours. De même, dans des contextes de paix, les violences exercées contre les femmes restent massives. Selon l’Ined (Institut national d’études démographiques), en France, chaque année, 216 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles. Et ceci n’est qu’une estimation basée sur les chiffres déclarés. Malgré ces constats, nous remarquons des évolutions notamment grâce à l’apport des sciences humaines sur ces questions. En 1976, une première historienne, Suzan Brownmiller, s’est intéressée aux viols pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis cette date, grâce aux connaissances apportées par les sciences humaines, la société prend mieux en compte ces réalités. Ce tournant féministe dans la recherche a permis de réaliser qu’il existe une invisibilisation des violences perpétrées sur les femmes du fait d’un ordre social machiste et androcentré. Quant au déni de l’Église par rapport à ces drames, il s’est aussi amoindri au fil des années, l’institution ecclésiale étant aussi pénétrée par cette prise de conscience. La preuve en est avec la dénonciation au Vatican d’une ONG anglaise, membre du réseau Caritas, de viols commis sur des religieuses dans le continent africain, durant les années 80. Au lieu de fermer les yeux, Rome a reconnu les faits. Si la souffrance de ces sœurs n’est pas encore prise en charge, une première étape a été franchie : il est aujourd’hui possible de parler de ces crimes.