Le courage pédagogique
Jean Houssaye, Philippe Meirieu, Loïc Chalmel… et bien d’autres encore rendront hommage à ce pédagogue disparu récemment en abordant ses idées pleines de bon sens concernant la réforme de l’enseignement et plus particulièrement celle du collège. Quel ministre osera concrétiser ce que Louis Legrand proposait, sans succès, en 1980 ?
Symposium dédié à Louis Legrand
Le jeudi 23/06/2016, le symposium se déroulera à l‘amphithéâtre « LAGACHE », Faculté de Psychologie, 12 rue Goethe.
Le vendredi 24/06/2016, le symposium se déroulera à la Salle des Conférences de la MISHA.
L’inscription au Symposium dédié à Louis Legrand est obligatoire mais la participation est gratuite.
Pédagogue, penseur de l’éducation, Louis Legrand, mort le 20 octobre à Arpajon (Essonne) à l’âge de 94 ans, exerça à tous les niveaux du système éducatif. Il fut surtout concepteur, au début des années 1980, d’une ambitieuse réforme du collège, bloquée par l’alliance des conservateurs et du syndicat majoritaire. Autant dire que, dans les débats actuels sur l’éducation, il est resté une référence pour un camp – celui des pédagogues qu’il laisse « orphelins », selon le mot de Philippe Meirieu – et un anti-héros pour l’autre. Sa disparition fait ressurgir avec acuité un épisode-clé des controverses liées aux réformes dans l’éducation nationale.
Né le 12 mars 1921 à Belfort, Louis Legrand entre aux Jeunesses socialistes à 14 ans. Il obtient son bac en 1939, puis commence sa carrière d’enseignant dès les années suivantes en milieu rural et entreprend des études de philosophie à Besançon. D’abord maître auxiliaire à l’école d’horlogerie de la préfecture du Doubs, il passe sa licence à la fin de la seconde guerre mondiale et devient professeur de philosophie au lycée de Vesoul, en Haute-Saône. Reçu en 1949 au concours d’inspecteur du primaire, il occupe pendant cinq ans un premier poste en Alsace, enseigne ensuite un an la pyschopédagogie à l’Ecole normale de Grenoble (Isère), puis redevient inspecteur, à Colmar (Haut-Rhin) jusqu’en 1962.
En parallèle, il entame un parcours universitaire et soutient en 1958, sous la direction de Paul Ricœur, sa thèse : « Principes philosophiques d’une pédagogie de l’explication ». En 1960, il publie Pour une pédagogie de l’étonnement (Delachaux et Niestlé), premier d’une dizaine d’ouvrages, parmi lesquels Les Différenciations de la pédagogie (PUF, 1995) et Les Politiques de l’éducation (PUF Que sais-je ? 1988). Inspecteur d’Académie à Belfort à partir de 1962, Louis Legrand devient en 1966 directeur de recherches à l’Institut pédagogique national (IPN), futur Institut national de recherche pédagogique (INRP). A ce poste, il lance une opération « collèges expérimentaux », qui va se déployer en deux phases (1967-1975 et 1977-1980). Ses observations le conduisent à affirmer ses conceptions sur la « pédagogie différenciée », comme réponse à l’hétérogénéité nouvelle des publics scolaires, et sur la « pédagogie fonctionnelle », dont le principe consiste à créer des situations où l’élève éprouve le besoin d’apprendre.
« Pédagogie de projet »
En 1980, Louis Legrand devient professeur à l’université de Strasbourg en sciences de l’éducation. En 1981, après l’arrivée de la gauche au pouvoir, le ministre de l’éducation Alain Savary le place à la tête d’un « groupe de pilotage » chargé d’élaborer une réforme du collège, dont chacun constate déjà l’impuissance à conjurer les déterminismes sociaux. Intitulé « Pour un collège démocratique », le « rapport Legrand » est rendu en décembre 1982. Il prône la constitution au sein des établissements d’ensembles autonomes d’une centaine d’élèves sous la responsabilité d’une équipe pédagogique. Celle-ci aurait la latitude d’organiser son enseignement, notamment en formant des groupes temporaires d’élèves en fonction des besoins, ainsi qu’en « adaptant » les programmes.
Le rapport préconise un large recours à la « pédagogie de projet », impliquant simultanément plusieurs disciplines, et prévoit l’instauration d’un système de tutorat, où un adulte prend en charge un groupe de 12 à 15 élèves pour les soutenir dans leurs études. Il défend la reconnaissance des enseignements artistiques, technologiques et sportifs à égale dignité avec les autres matières. Il propose enfin une redéfinition du service hebdomadaire des enseignants dans le sens d’une présence accrue dans l’établissement : seize heures de cours pour tous (agrégés compris), trois heures de tutorat et trois heures de concertation.
A part la faculté d’aménager les programmes, que personne n’assumerait aujourd’hui en fonction des risques de renoncement que cela comporte, ces dispositions sont encore, trente-trois ans plus tard, celles qu’appliquent les quelques collèges expérimentaux français. Elles ont également un air de familiarité avec l’actuelle réforme du collège, même si celle-ci est beaucoup plus modérée et limitée.
Intense campagne contre la réforme
En 1982, l’affaire tourne vite au vinaigre. Avant même la finalisation du rapport, une courte note manuscrite réclamée à Louis Legrand par le cabinet du ministre « fuite » et se trouve publiée dans la revue du SNES, principal syndicat du second degré. Celui-ci lance une intense campagne contre la réforme, refusant notamment tout changement dans les obligations des enseignants et dénonçant dans le tutorat une distorsion du métier dans le sens de « l’animation ». Parallèlement, le camp traditionaliste se mobilise dans le champ politique et dans les médias sur le thème, promis à un grand avenir, de la « destruction de l’école ». La première conséquence est de bloquer la nomination prévue de Louis Legrand comme directeur des collèges.
Alain Savary abandonne la redéfinition du service hebdomadaire des enseignants et le tutorat. Le ministre ne retient sous une forme amoindrie que certaines des mesures préconisées et décide que la rénovation se fera à partir de la rentrée 1984 sur la base du volontariat des établissements, par tranches de 10 % chaque année.
Louis Legrand, qui se sent trahi, redevient professeur à l’université de Strasbourg. Nommé ministre de l’éducation en juillet 1984, Jean-Pierre Chevènement, réticent envers les réformes de son prédécesseur, n’annule pas officiellement la rénovation engagée, mais celle-ci s’enlisera lentement mais sûrement.
Jusqu’au milieu des années 2000, Louis Legrand continuera, par des articles et des livres, à prendre part au débat sur l’éducation. Dans un texte lu à ses obsèques, Philippe Meirieu a salué l’homme qui fut « attaqué, grossièrement et injustement » et « aussi, parfois, marginalisé par ceux qui manquaient du courage nécessaire pour mettre en œuvre ce qu’il préconisait ».