Pour une école fraternelle

Jean-Paul Delahaye

Cet ouvrage et, plus largement, cette réflexion importe, plus que tout, aux IDR et aux PDR qui interviennent dans les écoles de la République en Alsace.

La fraternité est une valeur de notre république au même titre que la liberté et l’égalité. Nous sommes persuadés, et nous agissons en ce sens en classe, que ces deux valeurs fondamentales ne peuvent se développer sans la troisième, tout aussi fondamentale, la fraternité. Que chacun, sur son terrain, et en lien avec ses collègues, se pose cette question : Comment j’installe la fraternité dans ma classe ? Et ce, tant dans ma façon de construire une relation pédagogique distanciée avec les élèves que dans mes choix pédagogiques et didactiques.

Le livre de Jean-Paul Delahaye peut devenir un support potentiel pour mener à bien cette réflexion individuelle et collective.

L’école n’est pas faite pour les pauvres 

« Une partie de notre problème réside dans le fait que les dysfonctionnements de notre école qui ne parvient pas à réduire les inégalités ne nuisent pas à tout le monde ». Dans un petit livre très bien informé, Jean-Paul Delahaye, inspecteur général et ancien Dgesco, ne se limite pas à un inventaire des inégalités dans l’école française. Il aborde la question pédagogique. Surtout, il dessine un programme pour une école enfin égalitaire, une école qui prend en compte la pauvreté. « Une École plus sociale et plus fraternelle est une question d’intérêt général », plaide t-il. L’égalité et la fraternité c’est , mine de rien, toujours révolutionnaire…

Vous dites que votre livre n’est pas un livre de déploration. Pourtant il y aurait de quoi. Parce que vous montrez en détail à quel point l’école française n’est pas faite pour les plus modestes. Est-ce un livre programme ? Et si oui pour qui ?

C’est un livre de vulgarisation que j’espère utile dans le débat de l’élection présidentielle. Ce livre court veut montrer ce que serait une école qui ferait mieux réussir les enfants des pauvres. Ce serait de la déploration si on en restait au constat bien connu malheureusement que nous sommes le pays de l’Ocde où l’origine sociale pèse le plus dans la réussite scolaire.

Je montre que depuis 40 ans l’école n’a pas à rougir de ce qui a été fait. Car l’école a beaucoup évolué même si elle n’a pas réglé la question de la réussite scolaire des enfants des milieux populaires. Les inégalités se sont déplacées. Mais elles existent toujours. Dans le livre je passe en revue les principales mesures qu’on pourrait prendre pour une école plus juste. J’en mesure la difficulté à l’aune des résistances à l’élargissement social de la réussite scolaire. On a une partie de la population, dont les enfants réussissent à l’école telle qu’elle est qui n’a pas envie que l’école se transforme. Il faudrait dépasser les intérêts particuliers et que la nation reconnaisse que c’est de l’intérêt de tous de ne pas laisser au bord du chemin certains enfants. Finalement ce livre est un outil pour qui voudra s’en servir.

L’éducation nationale a un gros budget. Pour qui est-il dépensé ?

Le budget de l’éducation a considérablement augmenté ces 30 dernières années. Mais c’est une hausse relative car l’Observatoire des inégalités a montrée que la dépense intérieure d’éducation a perdu un point de PIB, soit 23 milliards, depuis cette date. C’est l’équivalent du CICE.

On est en effet passé de 7.7% à 6.6% du PIB ce qui montre que la France n’a pas fait un effort considérable pour son école. De plus, dans ce budget, il y a une utilisation qui ne vas pas dans le sens d’une redistribution. Par exemple, la Cour des Comptes a montré en 2018 que l’effort pour l’éducation prioritaire est très relatif car à effectif identique un collège de centre ville coûte plus cher qu’un collège en éducation prioritaire.

Il y a d’autres points à relever. Les bourses des collèges ne sont pas non plus à un niveau suffisant et on a un taux de non recours important qui s’aggrave d’ailleurs avec la numérisation des dossiers de bourse. Quant aux fonds sociaux ils ont baissé de 16% depuis 2017. Et si on regarde l’aide au travail personnel des élèves, on voit que pour les 1.7 million d’élèves de l’éducation prioritaire on dépense 32 millions, soit 18.80€ par élève. Pour les 85 000 élèves des CPGE on dépense 70 millions pour les khôlles soit 840€ par élève. On voit qu’on est dans une fraternité à l’envers. Les économies réalisées sur les plus démunis servent à préserver les privilèges des plus forts.

Un dernier exemple. Si on veut faire réussir les plus pauvres il faut prévenir les difficultés. Or on dépense moins pour le primaire que la moyenne de l’OCDE alors qu’on dépense 30% de plus pour le lycée. On peut se lamenter sur les résultats à 15 ans mais les difficultés apparaissent bien plus tôt.

Depuis 2013 il y a une politique de priorité au primaire que je soutiens. Il peut y avoir diverses façons de l’appliquer. En 2012 nous avions mis en place les « plus de maitres que de classes ». Depuis 2017 c’est un autre choix qui a été fait avec les dédoublements. Or, d’après la Depp, les premiers résultats sont plutôt décevants et n’ont pas l’air durables du CP au CE1.

Aujourd’hui JM Blanquer dit qu’il travaille dans un but social. Il met en avant les dédoublements, la priorité au primaire. Que répondez vous à cela ?

Mettre davantage de moyens pour le primaire va dans le bon sens, surtout que les effectifs d’élèves dans les classes sont plus élevés en France. Mais il faudrait en ce domaine de la continuité. C’est une perte de temps de supprimer ce qui avait été fait, comme les maitres supplémentaires, en présentant les dédoublements comme la pierre philosophale.

On a des exemples qui montrent que si des politiques se déploient dans la de continuité, les résultats sont au rendez-vous. Sur le décrochage scolaire, en 2012, V Peillon a rendu hommage à ce que X Darcos et L Chatel avaient fait. Il a continué à développer cette politique et on a vu baisser le nombre de décrocheurs qui est descendu en dessous de 90 000.

Mais  on a aussi et malheureusement des exemples contraires. Parce que tout le monde savait que le passage à la semaine de 4 jours en 2008 était une erreur, notamment depuis la commission réunie par Luc Chatel, on a remis en place en 2012 la semaine de 5 jours. La première décision de JM Blanquer, en 2017, a été d’autoriser la semaine de 4 jours. Comment peut-on améliorer les résultats des enfants de l’éducation prioritaire en leur enlevant une matinée de classe ?

Vous même avez été Dgesco. Dans le livre vous dites que vous n’avez pas eu le soutien politique nécessaire. C’est à dire ?

Supprimer 80 000 postes, comme cela a été fait avant 2012 ce n’est pas la même chose que créer 60 000 postes comme cela a été fait entre 2012 et 2017. Mais quand on veut engager une politique vers plus d’égalité on se heurte de front aux intérêts particuliers. La question des rythmes scolaires en est un exemple. L’apprentissage de deux langues au collège a gêné une partie de nos concitoyens dont les enfants bénéficiaient de la 2de langue dès la 6ème parce que cela leur permettait de scolariser leur enfant à part. Quand on a mis en place la deuxième langue pour tous les élèves en 5e on a eu des protestations y compris à gauche. Nous avons manqué de soutien politique. D’ailleurs la succession de 3 ministres en 5 ans n’est pas la marque d’un grand soutien politique.

Une école plus fraternelle est une école moins ségréguée. Comment assurer davantage de mixité sociale à l’école ?

On sait , notamment grâce à l’OCDE, et à des chercheurs comme Choukri Ben Ayed, qu’une école plus mixte socialement fait réussir les enfants défavorisés sans nuire aux autres. Mais la mixité sociale et scolaire ne peut pas se décréter sans un travail préalable d’égalisation de la qualité de l’offre scolaire. On ne fera pas venir les enfants des classes moyennes dans un établissement où on trouve des contractuels non remplacés quand ils sont malades. Arrêtons aussi de mettre des Sgepa dans certains collèges et des classes aménagées musique dans d’autres. Les parents peuvent par contre accepter la mixité sociale s’ils voient que les enseignants sont titulaires et stables, si la vie scolaire est apaisée et que les professeurs sont remplacés. On voit les bénéfices de ces garanties apportées aux parents à Toulouse où la collectivité territoriale s’est fortement impliquée,  et à Paris.  Mais en même temps il faut une politique d’urbanisme prise en charge par l’Etat qui permette une plus grande diversification de la population sur le territoire. On se plaint du communautarisme mais il y a un communautarisme des gens aisés.

Le gouvernement veut étendre l’éducation prioritaire au privé et aux zones rurales. Le collège unique est menacé. Qu’en pensez vous ?

La volonté de mettre fin au collège unique est consternante car le collège unique a déjà du mal à exister. Le Cnesco a montré en 2015 que le collège n’a d’unique que le nom car 12% des collégiens sont scolarisés dans des collèges n’accueillant que des enfants défavorisés. Il montre aussi que, par le jeu des options et des classes de niveau, des collèges ont réintroduit des clivages qui rappellent la situation d’avant 1975.

La scolarité obligatoire n’est pas le temps du tri mais celui du commun. Si on ne scolarise pas les enfants ensemble quelle société prépare t-on ? On aura des dirigeants qui n’auront jamais vu le peuple. Je suis pour qu’on continue à construire le collège unique. Et je souligne le travail du CICUR qui traite de la question des programmes scolaires pour établir un socle commun pour une école de la culture de tous. Il faudrait améliorer le socle commun et définir des savoirs qui peuvent émanciper tous les élèves et non sélectionner.

Un point important du livre c’est qu’il ne se limite pas aux aspects budgétaires ou institutionnels. Vous dites qu’une école fraternelle passe aussi par une autre pédagogie. C’est à dire ?

Il y a des principes pédagogiques favorables à la réussite de tous. D’abord une école favorable aux pauvres ne doit pas être une école pauvre en contenus. Il faut avoir les mêmes exigences avec les pauvres qu’avec les autres. Ce qui est certain c’est qu’à la compétition il faut préférer la coopération entre élèves. Pisa l’atteste. Il faut une école de la coopération aussi bien pour les élèves que pour les enseignants. IL faut aussi donner plus de marges de manoeuvre aux acteurs locaux, pas aux seuls chefs d’établissement mais aux collectifs de personnels.

C’est tout un programme. Quel  candidat va le porter ?

Pour une école plus fraternelle il faut construire un rapport de forces plus favorable aux classes populaires qui, aujourd’hui, ne pèsent pas sur les politiques publiques. Sans ce rapport de force on rencontrerait les mêmes obstacles qu’entre 2012 et 2017. Je pense que tout le monde peut comprendre que nous n’avons pas le choix pour au moins trois raisons. D’abord, et tous les économistes sont d’accord, les inégalités freinent la croissance économique. Ensuite, les élèves en échec vivent des scolarités qui sont des suites. Comment ne pas voir que cela va impacter leur personnalité ? Enfin, en laissant au bord du chemin autant de personnes, nous mettons en danger le pacte républicain. Ceux de nos concitoyens qui pensent qu’ils n’ont pas eu les mêmes droits que les autres auront du mal à admettre qu’ils ont les mêmes devoirs. C’est à tous les citoyens de se saisir de cette question.

Propos recueillis par François Jarraud – Source

Jean-Paul Delahaye, L’école n’est pas faite pour les pauvres. Pour une école républicaine et fraternelle. Le Bord de l’eau. ISBN 9782356878410. 14€

Déjà publié : Pauvreté