Gad chez les cathos
Quand Gad Elmaleh fantasme sur la Vierge Marie
Ces documents liés à l’actualité de l’humoriste célèbre se mettent au service d’une réflexion sur ce qui conduit certaines personnes à se convertir, à changer de religion, à choisir l’athéisme ou à rester agnostique. Cet exemple médiatique permettra d’entrer dans le vif du sujet en soulevant de nombreuses interrogations plus intéressantes les unes que les autres.
Dans le cadre de nos programmes, l’opportunité de ce film donne à prendre au sérieux les questions de nos élèves. L’échange interconvictionnel n’apporte pas de réponses toutes faites, mais une argumentation construite qui permet à chacun de structurer son identité, de mieux savoir ce qu’il est pour mieux maitriser ce qu’il fait. Certainement une des meilleures façons d’installer des relations respectueuses entre les citoyens français riches de leur différences culturelles et spirituelles.
- Je suis catholique, parce que mes parents me l’ont dit mais moi je ne crois pas en Dieu.
- Des musulmans deviennent chrétiens (ou l’inverse), c’est vrai ?
- Je suis musulmans et français, j’ai des copains qui me disent que c’est pas possible.
- Parce que je suis juif, il m’est interdit d’entrer dans une église.
- Mes parents sont musulmans, personnellement je ne crois en rien mais je ne sais pas comment leur dire.
- Quelle est la religion qui autorise les relations sexuelles avant le mariage que je m’abonne au plus vite ?
- La religion chrétienne, comme son nom l’indique, est centrée autour de la personne de Jésus, alors que Gad ne parle que de Marie.
- Quel est le statut de Marie dans les différentes confessions chrétiennes mais aussi dans le judaïsme et l’islam ?
- Etc.
Au sommaire : quatre articles de presse et l’intervention de Gad Elmaleh dans une émission de télé.
Dans les DNA
Gad Elmaleh revient à son enfance fascinée par la Vierge Marie. Treize ans après Coco, extension filmique d’un one-man-show, son deuxième long-métrage en tant que réalisateur le mène à l’Église, dans une comédie spirituelle au credo humoristique, qui ne crucifie pas son comique.
Par Nathalie CHIFFLET – DNA du 16 nov. 2022
Source : https://c.dna.fr/culture-loisirs/2022/11/15/nom-de-dieu
Il y a du vrai et du faux, de la réalité et de la fiction dans le nouveau film de Gad Elmaleh. Du cinéma et de la vie.
Il y a lui, qui se met en scène, il y a son père David, sa mère Régine, sa sœur Judith, le père Barthélémy, sœur Catherine, Delphine Horvilleur, qui sont ce qu’ils sont dans la vie, des parents, un prêtre, une religieuse, une femme rabbin.
Gad est Gad, à la fois humoriste, acteur, réalisateur, mais aussi un homme qui doute, qui se cherche et qui changera peut-être de religion. De juif séfarade à catholique. Le scénario suit son catéchuménat – parcours chrétien de conversion.
Changer de religion, c’est changer qui l’on est
« On impose aux enfants une religion… On a le droit de s’accorder le droit d’y réfléchir. » Mais on ne change pas comme ça ses croyances, sa foi, sa famille, juive non pas à l’orthodoxie impérative, mais très traditionaliste. Car dans cette comédie spirituelle, telle est la question. Il ne s’agit pas de comparer les vertus, les mérites et les dogmes du catholicisme et du judaïsme, et de faire le meilleur choix, mais de la manière dont la religion forge l’identité de l’individu et combien elle le structure. Changer de religion, c’est changer qui l’on est, c’est changer de famille.
Le ressort comique du film est là, dans l’intimité de la famille de Gad Elmaleh et son implication personnelle dans l’expérience du film : l’incompréhension que suscite chez les siens son projet de conversion au catholicisme donne un relief particulier à la fiction.
Pour être drôle, il ne suffit pas à Gad Elmaleh d’être lui-même, comique doux amer piqué par l’aiguille de la dérision, il lui faut déployer une idée de scénario drôle, fait de contestation, d’impertinence, d’ironie et de quiproquos situationnels et verbaux. Il a cette idée lumineuse et irrésistible de mettre au centre du film le personnage et le caractère de la mère juive.
Reste un peu est une réminiscence de l’enfance de Gad Elmaleh, à Casablanca, au Maroc. « J’y raconte les conséquences de ma curiosité d’enfant à qui on interdisait d’entrer dans une église. » Le petit garçon juif était fasciné par la Vierge Marie, icône inaccessible. L’interdit est devenu fantasme et obsession.
L’histoire
Après trois années à vivre l’« American Dream », Gad Elmaleh décide de rentrer en France. Sa famille et ses amis lui manquent. Du moins, c’est la réponse officielle pour justifier son retour… Car Gad n’est pas (seulement) rentré pour le couscous de sa mère. Non, c’est une autre femme qu’il vient retrouver à Paris… la Vierge Marie !
Rivalité jalouse
Dans l’art de mettre en forme par l’humour sa vision oblique du réel, Gad Elmaleh scénarise la confrontation des deux femmes de sa vie. Mais comment Marie, la mère de Jésus, peut-elle susciter autant de ferveur et de dévotion chez son fils adoré ? Régine Elmaleh, mère juive irrésistible, toute-puissante, devient un personnage perturbé par une rivalité jalouse.
Là où il déployait un grotesque forcené, des gags au chausse-pied dans son premier film Coco (2009), folie des grandeurs version juive mettant en scène l’organisation d’une bar-mitsva tape-à-l’œil – c’était caricatural, excessif, raté –, Gad Elmaleh donne à cette comédie familiale spirituelle une force sensible.
Il rend avec Reste un peu un hommage discret au cardinal Lustiger, ancien archevêque de Paris, qui conserva son enracinement et sa permanence dans le judaïsme dans sa foi catholique. Mgr Lustiger est l’homme qui réconcilie Gad Elmaleh avec les deux religions qui l’inspirent. « Je suis né juif. J’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron, avait écrit Lustiger. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les Apôtres. »
Extrait de l’émission « Quelle époque » dans laquelle Gad Elmaleh explique le pourquoi de ce film
En téléchargement : trois articles
- « Reste un peu », le « pèlerinage » de Gad Elmaleh (La Croix du 29 novembre 2022)
- « Reste un peu », le film de Gad Elmaleh. Il a vu la Vierge ? (Marianne du 16 novembre 2022)
- Gad elmaleh à coeur ouvert (L’1visible du 1 novembre 2022)
L’interdit du film « Reste un peu »
Louis Daufresne – publié le 18/11/22 dans Aleteia
Le film autobiographique de Gad Elmaleh, “Reste un peu”, restitue une expérience interdite : l’entrée d’un enfant dans une église. Parvenu à l’âge mûr, observe le journaliste Louis Daufresne, Gad Elmaleh se heurte toujours au même obstacle insurmontable.
On savait que le salut viendrait des juifs ! À l’heure où le clergé vide par saccade la cuve boueuse de sa concupiscence, on s’étonne qu’un saltimbanque branchouille et célèbre se mette à pousser la porte d’une église, à sourire à la Vierge et surtout à en faire un film. Ébahis, les catholiques se mordent encore pour y croire. Serait-ce une apparition ? Ils se ruent sur lui comme les sauterelles sur l’Égypte.
Gad Elmaleh, plébiscité comme un prophète, leur fait traverser la mer Rouge de leur mal-être, les décomplexe, les réconforte : leur foi se trouve du bon côté de l’histoire, enfin ! Ce petit troupeau est si souvent emmené à l’abattoir de la ringardise. Dans Reste un peu, les cathos sont sympas (malgré la scène de la retraite au monastère où la mine bougonne des acteurs en robe de bure ne donne pas du tout envie de rester, même un peu). Laissons aussi de côté l’exégèse des cinéphiles. Le Monde relève poliment que l’humoriste « nous emmène dans les sables mouvants d’une zone esthétique incertaine, entre autobiographie, autofiction et mockumentary (« faux documentaire ») ». Allons un peu plus loin dans ce même article, où Jacques Mandelbaum profère que « tout cela inspire […] le plus grand respect mais explique […] assez mal la nécessité de l’arrachement qui a déterminé ce mouvement, dont la violence induite est largement minorée par le film ».
Un obstacle inexpliqué
« Arrachement » et « violence », ces mots écornent le titre du Monde selon lequel « Gad Elmaleh choisit l’humour pour évoquer son illumination intime ». Car, à la vérité, Reste un peu n’est pas drôle ou l’est incidemment. Disons que ses parents, sa sœur et la femme rabbin sont touchants et justes et que lui est comme dans la vie, sincère et simple. Une lecture moins immédiate fait surgir une réalité froide, celle de l’enfermement identitaire. Même à 50 ans, même riche, même connu, même cool, même marrant, Gad Elmaleh se heurte à un obstacle insurmontable qui n’est jamais expliqué, ce qui est fort dommage. Car sans le refus total de son milieu, il n’y aurait pas eu de film. Reste un peu — osons l’écrire — restitue une expérience interdite.
L’humoriste a l’audace de la montrer. On aimerait savoir s’il aurait infligé un même outrage aux siens s’il leur avait annoncé qu’il était passé à l’islam ou au bouddhisme. Jamais ses parents ou sa sœur ne disent pourquoi ils considèrent sa démarche vers le christianisme comme un impensé. Ils n’ont aucune interrogation métaphysique. Pourtant, Gad Elmaleh se pose juste des questions que chacun peut se poser dans la vie. L’humoriste, à aucun moment, n’accable son entourage par des gags religieux ou une évangélisation agressive et obtuse, à la manière d’un converti qu’aucun excès n’arrête. Pas du tout. À aucun moment, il ne manque de délicatesse ; à aucun moment, il ne provoque son entourage ou ne commet de maladresses. Et malgré cette retenue et cette pudeur, le seuil d’intolérance à toute idée de conversion est très vite franchi.
Une conversion inachevée
On pouvait penser que les efforts du monde catholique pour se dire tolérant et ouvert auraient rendu un passage au christianisme moins douloureux, que l’abbé Pierre ou mère Térésa avait déplacé l’image autoritaire de l’Église sur un terrain humanitaire plus consensuel que ne l’avait fait Torquemada. Ces évolutions ne changent rien au regard porté sur la religion chrétienne. Reste un peu ne les questionne jamais.
Le film fige sa famille traditionaliste dans une attitude contrastant avec l’image évoluée et intellectuelle à laquelle on associe la judéité. C’est comme si côté jardin et caméra, on avait la chemise ouverte de BHL et que, côté cour, tout se refermait sur une pensée rituelle. Une scène montre même son père prendre des gants pour se saisir d’une statue de la Vierge de Lourdes comme s’il s’agissait d’un objet maléfique qui allait contaminer son foyer. C’est à se demander s’il sait seulement que la cité mariale est un lieu de guérison, y compris pour des personnes dont la foi n’est pas estampillée.
Le comble, c’est que l’humoriste a beau donner des gages, dire qu’il reste juif, que Marie et Jésus sont juifs, qu’il ne renie rien de ses origines, que Jean-Marie Lustiger est son mentor, rien n’y fait : son nez s’écrase sur une vitre opaque et dure et l’empêche de sortir de son monde. Reste un peu ne raconte pas une conversion, laquelle demeure inachevée (Gad Elmaleh semble attendre l’aval de ses parents pour aller au bout de sa démarche). À aucun moment, on ne le voit participer à des groupes de prière ou à des pèlerinages. Son film ne plonge pas à l’intérieur de l’église. En revanche, avec sa caméra, il soulève la kippa de tout un univers mental.https://www.dailymotion.com/embed/video/x8fhpr9?api=postMessage&autoplay=false&id=dailymotion_embedded_x8fhpr9_1&origin=https%3A%2F%2Ffr.aleteia.org&pubtool=jssdk
On croyait que la mobilité, érigée partout comme une valeur en soi, était devenue une évidence partagée, qu’on pouvait changer de religion comme de sexe, de conjoint, de pays, que la migration était la matrice de nos modes de vie. Avec Reste un peu, on s’aperçoit que la culture, verrouillée par des lois, peut se révéler étanche à toute influence, à tout ce qui ne vient pas d’elle-même et surtout n’y retourne pas. On se prend à penser que l’islam obéit à des règles comparables. Le fait que le christianisme soit issu du monde juif ne lui confère pas une place à part. Le film n’aborde pas l’héritage commun de l’Ancien Testament, n’en fait pas un terrain de discussion.
Ligne blanche
Si sa famille prend à cœur son rôle d’éducatrice, si elle sait rester fidèle à des principes ayant franchi les siècles et les persécutions, on se dit que Reste un peu en fait beaucoup, presque trop, notamment quand un ami va chercher Isabelle la Catholique (morte en 1504 !) pour rendre impensable l’idée même de conversion.
L’interdit est le fil rouge de ce film, plutôt sa ligne blanche. Au début, la voix de Gad Elmaleh se promène dans les rues de Casablanca. Lorsqu’il était jeune, dit-il, juifs et musulmans avaient un point commun : l’injonction parentale de ne jamais entrer dans une église. Lui osa le faire. Des années après, l’humoriste se souvient de la beauté du lieu. L’édifice était vide et il n’y était resté qu’un tout petit peu. Mais plus que les mots, le regard sculpte l’âme et, dès lors, on comprend pourquoi sa famille lui interdisait d’y entrer.
L’un des grands mérites du film “Reste un peu” est de redire que la frontière entre judaïsme et christianisme s’avère perméable. Car l’Église a beaucoup à recevoir d’Israël, comme l’a déjà montré Aron Jean-Marie Lustiger, rappelle Jean Duchesne, son exécuteur littéraire.