Robert Schumann

Vénérable pour l’Église catholique

Le pape François a reconnu samedi 19 juin les vertus héroïques de Robert Schuman, considéré comme l’un des « Pères de l’Europe ». Un pas décisif vers la sainteté.

Un événement rare notamment lorsqu’il s’agit d’un homme politique. Qu’on se le dise, politique et religion ne sont pas antinomiques…
L’occasion de revisiter dans l’Église catholique les trois étapes vers la sainteté : d’abord « vénérable« , puis « bienheureux » et enfin « saint« .

L’un des pères de l’Europe est désormais un « vénérable ». Ainsi en a décidé le pape François, samedi 19 juin, dans un décret publié par le Vatican, et dans lequel il reconnaît l’ « héroïcité des vertus » de Robert Schuman. Un premier pas vers la sainteté pour cet homme politique français dont le procès a été entamé en 1990 dans son diocèse d’origine à Metz, 27 ans après sa mort.

L’épais dossier transmis à Rome en 2004 et depuis examiné par les historiens et les théologiens de la Congrégation des causes des saints retrace avec exactitude le parcours de ce laïc considéré comme l’un des « pères de l’Europe ».

Déclaration du 9 mai

Catholique convaincu, proche de la spiritualité franciscaine, il a en effet été l’un des artisans de la réconciliation franco-allemande. Né à Luxembourg en 1886, avec la nationalité allemande, il devient Français après la Première Guerre mondiale et entre au Parlement comme député de la Moselle.

C’est après la Seconde Guerre mondiale, comme ministre des affaires étrangères (1948-1952) qu’il œuvre au rapprochement des deux anciens ennemis, et annonce le 9 mai 1950, que « le gouvernement français propose de placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe ». Une déclaration qui entrera dans l’histoire et posera les fondements de ce qui est devenu aujourd’hui l’Union européenne.

Si c’est cette déclaration qui vaut à Schuman d’être entré dans l’histoire, c’est bien la totalité de sa vie que la Congrégation des causes des saints a examiné, et non pas seulement son action politique des dernières années de sa carrière publique. Schuman, c’est l’homme des deux cultures, française et allemande. C’est celui qui fit partie, dès ses études de droit, d’un groupe d’étudiants catholiques, s’engageant dès l’après-première guerre mondiale dans l’action politique. Élu à Metz avant d’être candidat aux législatives, il fut aussi celui qui défendit en Alsace et en Moselle le droit local, hérité du droit allemand, dans des régions libérées de l’occupant. Dont le concordat encore en vigueur aujourd’hui.

« C’est un homme qui, au jour le jour, se demandait ce que l’Évangile l’engageait à faire »

Député au tout début de la deuxième guerre mondiale, il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, avant de regretter sa décision, présentant sa démission dès le lendemain. Il sera ensuite arrêté par la Gestapo, s’échappera de la prison de Metz et entrera dans la résistance en août 1942 après s’être caché quelques jours à l’abbaye de Ligugé. Après la guerre, le général de Gaulle, reconnaissant sa bonne foi, lèvera l’inégibilité dont sont alors frappés tous les parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs au maréchal.

« C’est un homme qui, au jour le jour, se demandait ce que l’Évangile l’engageait à faire », explique le père Cédric Burgun, ancien président de l’Institut Saint-Benoît, à l’initiative de la cause de canonisation. Le prêtre rappelle qu’en reconnaissant Schuman comme vénérable, il ne s’agit pour l’Église de « dire que tous ses choix politiques étaient les bons », mais plutôt de reconnaître la manière dont il a cherché à vivre ses choix. Comme cette retraite au cours de laquelle Schuman médite les encouragements du Christ à pardonner à ses ennemis. Nous sommes encore alors bien loin du 9 mai 1950. « Mais il considère alors que cette demande de réconciliation ne s’applique pas qu’aux individus, mais aussi aux pays », souligne le père Burgun.

Canonisation d’hommes politiques

Car plus profondément, cette reconnaissance des vertus héroïques d’un laïc engagé dans le champ politique, à travers un parti, n’est pas anodine pour le Vatican. Les canonisations d’hommes politiques sont en effet rarissimes, d’autant plus chez les figures contemporaines. Certes, Thomas More et Louis IX roi de France ont tous deux été reconnus saints, mais bien plus longtemps après leur mort.

Dans le processus, Rome a été particulièrement prudente, suivant ainsi les indications données par Jean-Paul II lors d’une rencontre avec un évêque français, à qui il avait confié que les béatifications de responsables politiques étaient particulièrement sensibles pour l’Église catholique.

Les théologiens face aux comptes rendus de l’Assemblée nationale

« La ressemblance avec l’image de Dieu se fait à travers la pratique des vertus », explique Mgr Bernard Ardura, président du Comité pontifical des sciences historiques. Qui poursuit : « La seule difficulté de la cause, c’est qu’il n’a pas écrit d’homélies ou de livres spirituels. » Il a donc fallu éplucher les comptes rendus de l’Assemblée nationale et de l’ONU, où sont scrupuleusement consignées les prises de parole de celui qui fut député, ministre et président du Conseil.

« Il a réalisé sa vocation d’homme et de chrétien à travers le service du bien commun, poursuit Mgr Ardura. Et l’action politique est, en ce sens, vu comme le sommet de l’action de la charité. » Qui poursuit : « C’est aussi une manière de montrer que la politique est une voie de sainteté. »

En reconnaissant Schuman comme vénérable, il ne s’agit pas pour Rome de valoriser des engagements partisans, mais plutôt le fait même de s’engager en politique de la part d’un homme qui avait pour idéal de réconcilier les ennemis de son temps. « Aux antipodes de Schuman, il y a le politique qui n’a aucune conviction et n’agit que pour être réélu », souligne Mgr Ardura.

C’est justement dans l’aspect politique que réside la limite de la cause de Robert Schuman. Car l’auteur de la déclaration du 9 mai est aujourd’hui vu davantage comme un responsable politique que comme une figure spirituelle. Or pour avancer de nouveau, et devenir bienheureux ou saint, un miracle devra être attribué à son intercession. Un « signe de Dieu » obligatoire aux yeux de Rome pour que le vénérable Robert Schuman devienne bienheureux puis saint.

« Sa réputation de sainteté est encore à développer », admet le père Burgun, qui « ne va jamais à Metz sans se rendre sur sa tombe pour lui confier des intentions ». « Il y a beaucoup à faire, à travers des conférences, des publications, des temps de prière, poursuit-il. Nous devons expliquer qui il est. »

Loup Besmond de Senneville pour le journal La Croix (19 juin 2021)

Vénérable, bienheureux, saint…
Un long cheminement

Par décret du pape François, l’ex-ministre français des Affaires étrangères et artisan de la construction européenne Robert Schuman est devenu, en juin, « vénérable de l’Église catholique. Un premier pas (peut-être) avant la béatification. Mais comment cela fonctionne-t-il exactement ?

Vénérable, une étape avant la béatification et la canonisation
Une personne, y compris laïque, peut être déclarée vénérable par le pape. Il s’agit d’une première étape, avant la béatification (et le titre de « bienheureux ») et la canonisation (pour être déclaré(e) saint ou sainte de l’Église catholique). Il s’agit de faire reconnaître, par le pape (qui signe un décret pontifical) « l’héroïcité des vertus » de la personne, c’est-à-dire ses efforts réalisés en vue de devenir meilleure, d’accueillir la grâce de Dieu, de pratiquer la charité, de se conformer à l’Évangile et d’être fidèle à l’Église. Cette reconnaissance de l’héroïcité des vertus n’est néanmoins pas nécessaire pour les martyrs.

La seconde étape est la béatification, par laquelle la personne est reconnue « bienheureux » ou « bienheureuse » de l’Église catholique. Le processus est plus long : elle n’aboutit qu’après une procédure préparatoire, mise en route par l’évêque du lieu où est décédé le candidat. Elle ne peut être lancée que cinq ans après le décès de la personne concernée. Plusieurs « conditions » sont requises : la reconnaissance du peuple chrétien par la réputation de sainteté ; celle de l’Église par la déclaration de l’héroïcité des vertus. Témoignages et écrits sont compilés et transmis à la Congrégation pour les causes des Saints, à Rome, qui rend un avis au terme d’un procès contradictoire. La décision finale revient ensuite au pape. Le tout doit en dernier lieu être confirmé par un miracle. Se tient ainsi un nouveau procès, qui fait intervenir experts, théologiens et promoteurs de la foi. Le « dossier » est là aussi transmis au pape, si cardinaux et évêques sont favorables. C’est in fine le souverain pontife qui reconnaît le miracle et décide de la béatification.

Enfin, le pape peut ordonner la canonisation de la personnalité décédée, lui octroyant le titre de saint ou sainte de l’Église catholique. Elle ne peut être décidée cependant qu’après la reconnaissance d’un autre miracle attribué au bienheureux et survenu depuis la béatification.

Béatification et canonisation : à quoi cela sert-il ?
En reconnaissant à des individus le titre de bienheureux ou de saint, l’Église catholique a pour but de proposer des exemples de vies éminemment chrétiennes.

Plus concrètement, la béatification puis la canonisation permettent l’attribution d’un jour de commémoration au calendrier liturgique, et la vénération et les prières dévolues au bienheureux ou au saint.

La béatification d’une personnalité politique, une reconnaissance rare
La majorité des vénérables, bienheureux et saints reconnus par l’Église catholique sont des religieux et des religieuses. Mais ce n’est pas une condition absolue, et des laïcs peuvent aussi être béatifiés ou canonisés. La plupart des laïcs bienheureux ou saints sont des médecins, qui ont mis leurs connaissances scientifiques « au service de Dieu ». Ils sont aussi poète, comme le Slovène Lojze Grozde, homme de lettres, comme le Français Frédéric Ozanam, banquier et avocat, comme l’Italie Giuseppe Tovini.

Ils sont, bien plus rarement, homme ou femme politique, comme Robert Schuman. « Béatifier un politique, c’est reconnaître que ce chrétien a vécu son engagement dans la société en mettant ses pas dans ceux du Christ. C’est un signe fort que François adresse, en ces temps de défiance, pour montrer que l’engagement politique est un lieu de sainteté possible », indique au Parisien le père Cédric Burgun, vice-doyen de la faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris.

L’ancien ministre français et l’un des pères fondateurs de l’Europe ne sera cependant pas le premier politique à être élevé au titre de bienheureux. Avant lui, l’empereur Charles Ier d’Autriche entre 1916 et 1918 et l’Autrichienne Hildegarde Burjan, parlementaire démocrate-chrétienne après la Première Guerre mondiale ont été béatifiés.

Sources