Timbuktu

Voyage au cœur d’une humanité

« Où est Dieu dans tout celà ? » (dernière parole de la bande annonce ci-dessous)

Comment raconter ces villes qui tombent sous le joug de djihadistes détruisant tout souffle de liberté ? Comment montrer d’autres images que celles qui tournent sur les chaînes d’info ? À ces questions, Abderrahmane Sissako répond en trois temps : le cinéma, l’humour et la poésie.

Sept mois se sont écoulés depuis la présentation de Timbuktu à Cannes. Les assassinats ont continué. Le film n’a donc rien perdu de son acuité. Beau, digne, intelligent.

À voir toute affaire cessante. Et ça commence maintenant…

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Synopsis :
Non loin de Tombouctou tombée sous le joug des extrémistes religieux, Kidane mène une vie simple et paisible dans les dunes, entouré de sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans.
En ville, les habitants subissent, impuissants, le régime de terreur des djihadistes qui ont pris en otage leur foi. Fini la musique et les rires, les cigarettes et même le football… Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Kidane et les siens semblent un temps épargnés par le chaos de Tombouctou. Mais leur destin bascule le jour où Kidane tue accidentellement Amadou le pêcheur qui s’en est pris à GPS, sa vache préférée.
Il doit alors faire face aux nouvelles lois de ces occupants venus d’ailleurs…


Kalachnikov en bandoulière, une poignée d’hommes enturbannés pénètrent dans une mosquée afin d’y faire la prière. La porte à peine franchie, ces fidèles au look de mercenaires se font cueillir par un imam leur rappelant doctement le code de bonne conduite à respecter en pareil lieu : pas de chaussures aux pieds, encore moins de fusils à la main. « Nous faisons le jihad », croit bon répondre l’un des inconvenants pour justifier ce manquement aux règles de bienséance. « Ici, à Tombouctou, celui qui se consacre à la religion le fait avec sa tête et non avec les armes », répond le chef religieux au groupe de soudards, alors contraints de quitter les lieux tête baissée.

Nous sommes en 2012. La moitié nord du Mali vit alors sous la coupe de leurs lois aussi iniques qu’absurdes (interdiction de fumer, d’écouter de la musique, de jouer au football…). De cette période trouble, Abderrahmane Sissako tire une touchante chronique dont la poésie et l’humour pince-sans-rire font œuvre de résistance au fanatisme religieux.
Face à cet obscurantisme, Abderrahmane Sissako s’emploie à faire percer la lumière. Le contraste le plus saisissant de « Timbuktu » est celui qui oppose la barbarie aveugle à la puissance poétique de nombre de ses scènes.

Le film des événements:
Ce documentaire radio, carnet de bord sonore d’Arnaud Contreras, retrace 3 semaines à l’Est de la Mauritanie, au coeur de l’équipe de tournage du film d’Abderrahmane Sissako “Timbuktu, Le Chagrin Des Oiseaux”.

Il donne la parole au réalisateur, à des figurants et comédiens de cette fiction qui ont vécu l’occupation jihadiste au Nord du Mali.
Anciens rebelles, fonctionnaires, réfugiés, tous témoignent de cette période sombre, de la vie aujourd’hui au Sahel, de l’importance de ce film.

Pour Abderrahmane Sissako, « l’être humain est capable de remords »

Propos recueillis par Frédéric Theobald

Injustement oublié du palmarès cannois, Timbuktu raconte l’occupation du Nord Mali par des djihadistes. Un film beau, émouvant et plein d’humour. Rencontre avec son réalisateur, Abderrahmane Sissako

Comment montrer la barbarie sans céder au spectaculaire ? Comment dénoncer « la prise en otage d’une population et d’une religion, l’islam », par des extrémistes en armes sans verser dans la caricature, mais au contraire en exaltant le meilleur chez l’homme ? Cinq ans après Bamako, qui instruisait dans la cour d’une maison le procès de la Banque mondiale et du FMI, le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako revient sur l’occupation du Nord Mali par des djihadistes. Il en fait une sublime histoire de résistance et d’amour.

Au départ de votre film, il y a le cas d’un couple malien qui en 2012 a été lapidé. Et ce qui vous a ému, au-delà de l’acte barbare, c’est le silence des médias.

Il y a une identification avec la victime, c’est ce sentiment qu’exploitent les médias, tout comme les égorgeurs. Aujourd’hui, il y a un éveil des consciences, mais la barbarie est là depuis longtemps. Le véritable otage, c’est la population, c’est l’islam. Quand après le 11-Septembre on a choisi de faire l’amalgame entre le terrorisme et une religion, on n’a pas été capables de rejeter la barbarie, tous ensemble, au nom de toutes les religions, car toutes sont compréhension et amour. Tombouctou est un symbole : cette ville musulmane est pour moi une ville de pardon, de respect et de communion avec les autres. Je tenais à le rappeler, car tels ont été mon éducation et mon univers.

Timbuktu prend une résonance avec l’émergence de Daech ?

C’est l’actualité qui encore une fois tire le film dans un certain sens, en se focalisant sur le djihad. Mais c’est d’abord l’histoire d’une femme, d’un homme et de leur enfant dont le destin change de trajectoire un matin. La scène centrale, c’est cet interrogatoire où un homme apprend de la bouche d’un autre qu’il va mourir. Il parle au juge de sa fille et de sa femme, qui vont lui manquer. Il va jusqu’à lui dire que la mort ne lui fait pas peur. Je crois que tout homme avant de mourir, quand on peut être témoin de sa mort, ne pense qu’à l’amour. La conviction profonde de l’être humain, de tous ces égorgés, c’est que la beauté et l’amour triompheront.

Vous avez choisi de faire alterner la scène de lapidation avec des images d’un djihadiste qui danse. Pourquoi ?

L’évocation de la violence doit être un acte réfléchi. Sinon, on la banalise. Il faut mettre de la distance. J’ai trouvé la solution lors d’une conversation avec mon acteur, quand il m’apprit qu’il avait été danseur. La scène de la lapidation peut garder sa dimension terrible, mais de façon brève. Tout de suite après il me fallait montrer le djihadiste et trouver en lui une humanité coûte que coûte. L’être humain est capable de remords. L’art doit exprimer ce moment où dans son intime conviction un être comprend que ce qu’il a fait n’est pas lui. Cette danse exprime cela. C’est une confidence, muette, tranquille, pour dire : « Mon destin m’a amené ici, mais je me suis peut-être trompé. »

Vous montrez les fanatiques comme des pieds nickelés, des tartuffes, il était important de pouvoir en rire ?

Un film, c’est une conversation, il faut des temps morts, des silences… Il faut être drôle parfois, pour rappeler que la vie peut l’être, même quand cela ne va pas. Enlever de la gravité permet de se faire comprendre. C’est le contraire du spectaculaire ou d’un cri. Un cri, on n’entend rien. Dans un chuchotement, oui ! Et l’humour permet cela.

Un cinéaste de l’exil

Abderrahmane Sissako est né en 1961 en Mauritanie, il a grandi à Bamako, au Mali, s’est formé au cinéma à Moscou, dans l’ex-URSS. Timbuktu est son 4e long métrage. Compte tenu de l’insécurité au Nord Mali, le film a été tourné en Mauritanie, avec un casting composé en grande partie d’acteurs non professionnels.