Le cours d’Éthique et de Culture Religieuse sur la sellette
Au Quebec, en 2008, le cours de religion, confessionnel mais plus confessant (prières, catéchèse et préparation aux sacrements exclusivement en paroisse), est supprimé au profit d’un cours d’ECR (Ethique et Culture Religieuse). En 2021, le gouvernement québécois décide de le supprimer progressivement pour installer un cours de culture et citoyenneté québécoise.
Cette décision, attendue par certains et contestée par d’autres, demande à être auscultée avec attention.
Regard rapide sur les principales critiques concernant cette heure :
> La vision québécoise sur la laïcité devient plus proche de celle de la France que de celle du Canada et plus globalement des Anglo-saxons.
> Des évaluations démontrent l’inefficacité du cours (en place depuis 12 ans) en termes de connaissances intrinsèques du fait religieux.
> Il n’y a pas trop de fait religieux enseigné à l’école mais la manière de l’enseigner n’est pas efficace.
> Le principal reproche fait à ce cours est qu’il a tendance à réduire la culture à la seule dimension religieuse. La culture n’étant pas l’apanage du cours de religion, la question de la transmission culturelle dans les autres disciplines (littérature, histoire, arts, etc.) est posée.
> Les enseignants les moins compétents peuvent avoir tendance à glisser vers une forme de relativisme naïf (chacun doit avoir une religion et doit pouvoir expliquer sa croyance aux autres) et parfois un prosélytisme inconscient. Il s’agit bien souvent d’allégations des détracteurs de ce cours qui forcent le trait à partir de situations caricaturales qu’ils généralisent. Cela peut aller jusqu’à prétendre que le cours d’ECR procède au développement du « wokisme* »
> Les enseignants d’ECR, sans état d’âme, comme ceux des autres matières, sont-ils en mesure d’enseigner le programme indépendamment de leurs propres convictions ? La question de la neutralité se pose davantage que celle de la laïcité.
> On constate que le passage au cours d’ECR en 2008 (salué conjointement à l’époque par les autorités religieuses et les laïcistes) n’a pas permis de réduire la fracture entre ceux qui considèrent que les religions sont des fables et ceux qui y cherchent (et/ou qui y trouvent) la vérité. Alors que c’est justement en dépassant ce clivage que l’on peut installer le fait religieux comme une matière d’enseignement. Le fait est qu’il y a ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Tout l’intérêt du cours est d’ouvrir les uns et les autres à l’esprit critique pour entrer dans l’intelligence du croire ou du non croire.
> Chacun remarquera qu’il n’est jamais certain d’être soutenu par ses amis lorsqu’ils sont au pouvoir. Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation, est un ancien prof d’ECR.
La position de ceux qui sont CONTRE la suppression de ce cours
Remplacer le cours ECR? Une mauvaise idée, selon des experts
Ce n’est vraiment «pas une bonne idée»
François Gloutnay – 10 janvier 2020
Le sociologue des religions Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), a été le tout premier intervenant du monde de l’éducation à réagir sur Twitter à l’annonce du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur de réformer radicalement, voire d’abolir, le cours Éthique et culture religieuse (ECR).
«La compréhension scientifique du fait religieux favorise la tolérance», estime plutôt le professeur qui ne croit pas, comme le ministre Jean-François Roberge, qu’il y ait trop de contenu religieux à l’école.
Il y a deux ans, le CEFIR a mené une étude sur l’étendue des connaissances du fait religieux parmi les nouveaux cégépiens qui ont, ces dix dernières années, suivi au primaire et au secondaire le programme d’études ECR.
«Notre étude a démontré que la connaissance du fait religieux chez les cégépiens était minimale, voire même inexistante.»
Sans surprise, l’étude de 2018 a montré que la religion la moins connue des jeunes est l’islam. La religion juive vient ensuite. «La plus connue est la religion chrétienne. Mais les statistiques sont faméliques», lance-t-il. «Les jeunes ne connaissent même pas la religion chrétienne.»
«Le gouvernement dit qu’il y a trop de religion. Mais, doit constater Martin Geoffroy, le cours ECR actuel n’enseigne manifestement pas bien les contenus religieux car les jeunes n’en retiennent rien lorsqu’ils arrivent au cégep. Non, il ne faut pas diminuer le contenu religieux, il faut plutôt l’augmenter et sans doute changer la manière de l’enseigner.»
«Non, il ne faut pas diminuer le contenu religieux, il faut plutôt l’augmenter et sans doute changer la manière de l’enseigner.»
Une recommandation de l’étude du CEFIR, était «non seulement d’enseigner les sciences des religions au primaire et au secondaire, mais aussi au cégep».
Selon le chercheur, «c’est une fausse assomption des détracteurs du cours ECR que de dire que ce qui est enseigné c’est, par exemple, d’être tolérant envers l’intégrisme religieux», ou encore que les professeurs veulent forcer les jeunes à adhérer à une religion. «C’est faux», rétorque-t-il.
«On parle ici de connaissances scientifiques de la religion». D’ailleurs, fait-il remarquer, le cours ECR est donné, depuis son implantation en 2008 par des professeurs, «souvent athées», qui se concentrent sur contenu culturel du religieux et aussi de l’athéisme.
Enfin, le professeur Geoffroy se dit «d’un optimisme mesuré» devant la consultation publique lancée le 10 janvier par le ministre Jean-François Roberge visant à définir le contenu du futur cours ECR. «Les premières personnes à consulter, il me semble, ce sont les enseignants et les experts du sujet.»
Une consultation questionnée
De son côté, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) «questionne fortement le fait qu’avant même de procéder à des consultations», le ministre Jean-François Roberge annonce déjà «sa volonté de remplacer, en tout ou en partie, les notions de culture religieuse dans le programme d’études Éthique et culture religieuse».
Dans un communiqué diffusé quelques heures après l’annonce gouvernementale, les évêques disent «saluer la volonté du ministre de réviser et d’enrichir le contenu du programme, à la condition toutefois que «cela ne se fasse pas au détriment des notions de culture religieuse».
Mgr Pierre Murray, secrétaire général de l’AECQ, indique que les évêques ont bien l’intention de «participer au processus de consultation annoncé par le ministre, afin de réitérer le rôle important de l’école pour aider les jeunes à surmonter les clivages idéologiques, à mieux se respecter mutuellement, et à les initier à une compréhension positive du phénomène religieux».
«Le courant anti-religieux a gagné»
«Ce matin, on peut affirmer que les tenants de ce courant qui s’est développé autour de l’athéisme et de l’anti-cléricalisme ces quinze dernières années au Québec ont eu à l’usure le gouvernement.»
Jean-Pierre Proulx n’était pas tellement surpris de ce qu’il a lu dans les médias sur l’annonce faite par le ministre Roberge au sujet du cours ECR. Mais il était plutôt amer, bien conscient que la modification ou l’abolition de ce cours marquera la fin d’un long processus de réflexion sur la place de la religion à l’école.
Cet ancien journaliste du quotidien Le Devoir, et ex-professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, proposait, il y a déjà 20 ans, les principes de ce qui allait donner naissance, dix ans plus tard, au cours ECR. Le rapport du Groupe de travail ministériel sur la place de la religion à l’école qu’il a présidé de 1997 à 1999 recommandait déjà «que les régimes pédagogiques de l’enseignement primaire et secondaire prévoient, en lieu et place des enseignements religieux catholique et protestant, un enseignement culturel des religions obligatoire pour tous».
Il y a vingt ans, rappelle-t-il encore, le Rapport Proulx ainsi que ses recommandations, étaient saluées, «y compris par les laïcistes», comme «un progrès» dans le milieu scolaire québécois.
Depuis, «le Mouvement laïque québécois s’est radicalisé et s’est donné des porte-parole qui ne sont pas capables de ‘sentir la religion’» et qui ont réclamé, sur toutes les tribunes et dans tous les médias, l’abolition pure et simple des cours ECR.
«Il y a un fort mouvement anti-religieux qui s’est développé au Québec et qui a pris pour cible le cours ECR. Pourquoi? Parce que ce cours reconnaît la pertinence des religions dans la société», déplore-t-il.
Les religions seraient «des fables» que l’on n’a pas à enseigner à l’école, répètent les détracteurs du cours ECR.
«Cette pensée a percolé dans les partis politiques». C’est le cas chez Québec solidaire mais aussi au Parti Québécois, observe Jean-Pierre Proulx, qui animait jusqu’à récemment un blogue sur l’éducation au Québec. «Et à la CAQ aussi». Ce parti a indiqué récemment, dans le projet de loi 40 sur les commissions scolaires, vouloir effacer toute référence à la spiritualité dans la Loi sur l’instruction publique et retirer le Comité des affaires religieuses dans l’organigramme du ministère de l’Éducation.
«Il y a vingt ans, ceux qui s’étaient opposés à notre rapport sur la place de la religion à l’école, c’étaient les parents catholiques et les membres de l’épiscopat. Aujourd’hui, le rapport de force dans la société a complètement changé. Le courant anti-religieux au Québec a gagné», note-t-il.
François Gloutnay – Journaliste (Présence – Informations religieuses – 10 janvier 2020)
La position de ceux qui sont POUR la suppression de ce cours
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a annoncé la mort du cours Éthique et culture religieuse (ECR). C’est une nouvelle que nous attendions depuis longtemps.
En fait, ce cours, qui ne visait qu’à introduire un enseignement religieux multiconfessionnel à l’école, n’aurait jamais dû voir le jour. Il passera à l’histoire comme une aberration intellectuelle et un désastre sur le plan social.
Évidemment, ceux que les médias qualifient de «spécialistes de la question» se sont dits inquiets avant même de connaître ne serait-ce que le titre du nouveau cours. Ils font penser aux pétrolières qui considèrent que les énergies fossiles sont irremplaçables. Ces défenseurs de l’indéfendable ont aussi oublié que le ministre Roberge est lui-même un ancien enseignant du cours ECR et qu’il parle en connaissance de cause.
Avec le nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise, c’en est fini du tout à la religion, qui constituait l’âme du cours ECR dans lequel la culture était réduite à l’appartenance religieuse. La culture prendra maintenant véritablement son sens avec toutes ses composantes: art, histoire, langue, valeurs, communautés ethniques, religion. La notion de religion, qui inclut aussi la non appartenance religieuse et l’athéisme, redevient l’une des composantes de la culture et non plus, comme le soulignait le ministre, la seule lunette par laquelle on apprend à connaître l’autre et à interagir avec lui.
La culture québécoise sera le pôle de référence plutôt qu’une culture parmi les autres. Une majorité a légitimement le devoir de servir de moteur d’inclusion plutôt que de s’effacer devant les revendications qui conduisent au morcellement multiculturaliste et à la ghettoïsation. Dans son désir de «rallier plutôt que diviser», on sent chez le ministre Roberge le désir de redonner la fierté à la nation québécoise et de renverser la mentalité des accommodements religieux à tout prix qui marquaient ECR.
Finalement, on ne peut qu’être d’accord avec l’accent qui sera mis sur le développement de la pensée critique. Il s’agit là d’un autre aspect qui était totalement évacué du cours ECR. Il est à souhaiter que le développement de la pensée critique s’exercera également à l’endroit des croyances religieuses et des pseudosciences. Le ministre veut en faire un outil pour contrer la polarisation et faire obstacle aux censeurs qui refusent de débattre d’idées différentes de la leur. On ne peut que saluer cette intention.
À lui seul, ce nouveau cours ne mettra pas fin à la culture du bannissement ni à la mouvance appelée communément wokisme* et que le cours ECR a contribué à développer. Mais, au moins, à la lumière des orientations annoncées, il est permis d’espérer que le cours de citoyenneté n’y contribuera pas.
Daniel Baril, président du Mouvement laïque québécois (24 octobre 2021 – Journal de Montréal)
https://www.journaldemontreal.com/2021/10/24/la-fin-du-cours-ecr-une-bouffee-dair-frais
À lire : journal La Croix du 28 octobre 2021
(*) Woke, wokisme
Le mot vient d’« éveil » en anglais (« to wake », réveiller). Il décrit un état d’éveil face aux injustices vécues par les minorités quelles qu’elles soient (sexistes, raciales, religieuses, etc.). Il a été popularisé par le mouvement « Black lives matter » aux États-Unis (« La vie des Noirs compte », en anglais) et englobe aujourd’hui les combats menés par les opprimés face aux dominants.