Portrait du lundi dans le journal L’Alsace consacré à Pierre-Michel Gambarelli
Professeur de religion à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé), Pierre-Michel Gambarelli fait bouger, en mots et en musique, les lignes de séparation entre religion et laïcité. Avec un objectif : le « vivre-ensemble ».
Par Romain GASCON
Regard, verbe et gestes, tout dans le tempérament enthousiaste de Pierre-Michel Gambarelli traduit une foi généreuse, incarnée dans l’altérité. Cette curiosité pour « l’autre » est née avec le scoutisme, à l’âge de huit ans, se souvient ce Vosgien d’origine : « L’école regroupait des fils d’ouvriers. Le scoutisme et son mélange de classes sociales m’ont donné la volonté de ne pas m’enfermer. »
Le garçon y découvre aussi les vertus de l’animation. Cinq décennies plus tard, et à quelques mois de la retraite, le professeur de religion intégré à l’Université de Strasbourg en reste un adepte convaincu : « Même si cela va à contre-courant d’une vision très française, animation et enseignement sont appelés à se réconcilier et à mutualiser leurs pratiques, pour inventer l’école de demain. »
Soliste devant le pape et créateur des carnets Diapason
Pour le petit-fils de luthier, l’animation passe en particulier par la musique. En 1988, le guitariste et chanteur est soliste lors du passage du pape Jean-Paul II à Strasbourg. En 1990, il crée les carnets de chants Diapason. Une chanson, « c’est la quintessence du dialogue », résume-t-il.
Ce dialogue en musique, Pierre-Michel Gambarelli le décrit à la fois comme « intérieur » – « ma prière, ma relation avec le divin » -, mais aussi comme « un marchepied vers de nouveaux projets, en expérimentant avec d’autres des chemins inédits ».
Dans son dernier album, Nous bénissons ton nom , paru cette année chez Bayard presse musique, « chacune des 21 chansons a son histoire », explique-t-il. Réunies, « elles en inventent une autre » et composent « une modeste contribution, dans le contexte actuel, au désir de croire au jour d’après ».
Alors qu’il est jeune adulte, Pierre-Michel Gambarelli réfléchit à une vocation religieuse. Le message de Saint François et « sa théologie de l’homme au service de l’Homme pour servir Dieu, une “théo(éco)logie de l’homme” installé dans un univers à protéger », le séduit. Il entre au grand séminaire de Nancy en 1975, pour deux années de philosophie. Devenu novice dans l’ordre des Franciscains, les frères l’encouragent à poursuivre des études. En 1981, il intègre la faculté de théologie catholique de Strasbourg. DEA en poche, il devient professeur de religion en lycée. Quelques années plus tard, il fonde une famille avec une Alsacienne.
Pendant 25 ans, le week-end, il sillonne la France pour animer des rassemblements religieux dans les paroisses, où il interprète ses chansons : Le sel de la paix, Pour les hommes et pour les femmes, Shalom-Freedom, Oui la paix, Je crois en Dieu le Père …
Le 11 septembre 2001 et l’importance du fait religieux
Le cataclysme des attentats du 11 septembre 2001 ébranle tout à la fois le croyant, le citoyen et l’enseignant : « Une date clé. On prend conscience que notre pays est pluriculturel. Qu’on ne peut plus construire une société sur une seule culture. On commence à réfléchir à l’importance du fait religieux. »
Cette même année, Pierre-Michel Gambarelli entre à l’IUFM de Strasbourg (devenu l’Inspé, Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) comme enseignant-formateur auprès des futurs professeurs du primaire et du secondaire. Avec une vision claire de sa mission, au centre de laquelle figure l’interculturalité.
« Une classe est un modèle républicain », insiste-t-il, tout en résumant l’enjeu : « Comment respecter la laïcité et la neutralité sans repousser les cultures qui constituent nos repères, à travers leurs rites, leurs mythes, leurs fêtes ? Comment aider les jeunes enseignants, dont j’admire l’engagement, à construire des relations pédagogiques vraies, sans évincer les questions sensibles que posent les enfants ? »
« L’école ne peut se contenter, en se cachant derrière le pur scientifique, d’enseigner les “comment” en laissant à la porte les “pourquoi”, poursuit Pierre-Michel Gambarelli. La nécessaire distinction entre “savoir” et “croire” n’exclut ni l’un, ni l’autre. » Le formateur de professeurs en est convaincu : « La dimension scientifique et la dimension symbolique sont appelées, aujourd’hui et plus que jamais, à coexister. Il en va de nos poésies, de nos arts, de nos croyances, de nos relations humaines, et donc de notre culture. »
Deux années passées au Burkina Faso, en tant qu’enseignant-coopérateur, et plusieurs séjours au Sénégal, au cours desquels de futurs enseignants expérimentent un fort dépaysement culturel, décident le professeur à organiser, pour près de 400 étudiants de l’Inspé, une dizaine de voyages vers une destination hautement symbolique : Israël et la Palestine.
L’atout de l’Alsace : le cours de religion à l’école
Le pédagogue dresse un parallèle entre le « macrocosme » du Proche-Orient et le « microcosme » de la classe : « La question n’est pas de savoir qui a tort ou raison, de chercher un responsable… Mais de savoir comment je peux construire un avenir avec les autres. Comment je peux passer du “vivre-ensemble” au “faire-ensemble”, dans la connaissance et la reconnaissance des différences. » Il résume ainsi sa conception de la laïcité : « Vivre en frères sans se ressembler. »
Or, le vivre-ensemble se construit, « s’apprend, se cultive au petit quotidien de nos vies », rappelle l’enseignant, qui dénonce « l’inculture, une problématique de plus en plus envahissante, qui engendre les séparatismes et les communautarismes. »
Son Alsace d’adoption possède, de ce point de vue, « un atout pour apprendre à mieux savoir d’où on vient et à mieux estimer l’autre dans ses différences », avance-t-il : le cours de religion à l’école publique. Une discipline qui rencontre un déficit d’intérêt, déplore le professeur : « Pourtant, ce n’est plus de la catéchèse. Aujourd’hui, le cours de religion est au service du bien commun. Il est ouvert à tous, au-delà des convictions. Il n’y a aucun prosélytisme et les programmes ne confondent plus le culturel et le cultuel. »
Pierre-Michel Gambarelli porte un regard optimiste sur l’avenir. « Les jeunes générations sont demandeuses d’explications concernant leur propre culture et celles de leurs amis. Elles ne sont pas dans une idéologie laïciste consistant à évacuer la trace du religieux dans les cultures. Elles ont compris qu’il n’y a pas qu’un seul islam et que critiquer le wahhabisme, ce n’est pas injurier les musulmans. Que les amish assument leur choix de vie. Que le sapin de Noël n’est la propriété d’aucune religion et que les symboles vivent et meurent avec l’évolution des pensées humaines. »
Il se plaît à espérer que « nous allions un peu plus loin, les prochaines années. Que nous passions de l’interreligieux et de l’interculturel à l’interconvictionnel. » Il reprend : « Ou plutôt à la convivance, un vieux mot de notre langue », qu’il appelle à « réhabiliter ». « De toute urgence. »
Portrait repris dans les DNA le 25 décembre 2020