La sortie cette semaine du film de Zack Snyder, Man of Steel, nouvelle version des aventures de Superman sur grand écran, a suscité de nombreux commentaires jouant sur la comparaison entre l’homme d’acier et la figure du Christ.
Un parallèle que semblent même vouloir encourager le réalisateur et la production du film. Un article du Los Angeles Times rapporte ainsi qu’avant de faire le film Zack Snyder avait été frappé par une remarque : « Le ‘S’ rouge et jaune de Superman est le deuxième symbole le plus reconnaisable au monde, tout juste dépassé par la croix chrétienne »… Un constat assez juste, que le cinéaste ira jusqu’à interroger dans son film, au travers d’une scène où le personnage adopte, dans l’espace, une position en forme de croix pour quelques secondes, juste avant de voler au secours de l’humanité. Et Zack Snyder assume : « Superman est une figure christique, c’est comme ça ».
La Warner, le studio producteur du film, a même lancé une campagne de communication aux Etats-Unis à destination des chrétiens, afin de les convaincre que les ressemblances entre le super-héros et le seul sauveur étaient une bonne raison d’aller voir le film. Une brochure, de neuf pages, a donc été distribuée aux pasteurs et diffusée sur un site internet dédié, sur lequel on peut trouver des projections pour les hommes d’Eglise, des argumentaires et même… des idées de sermons sur le sujet ! On peut par exemple y lire : « Comment l’histoire de Superman peut-elle réveiller notre passion pour le plus grand de tous les héros qui ait jamais vécu, qui est mort et ressuscité ? Que l’on considère les origines modestes de Superman, la grandeur de sa vocation et le sacrifice auquel il est prêt, tous ces éléments nous renvoient à Jésus, le super-héros d’origine ».
Forts de ces appuis officiels, un certain nombre de chroniqueurs et journaux se sont engouffrés dans ce plan de communication, soulignant abondamment les parallèles entre les deux figures. Ainsi de l’édition anglaise de Metro, qui publie un « top 20 des raisons pour lesquelles Superman est Jésus ». Plus ou moins inspirés, les arguments soulignent, dans le désordre, que le super-héros aux collants bleus « a 33 ans », « a une barbe » (comme d’ailleurs son père), « a des super-pouvoirs » « a été envoyé sur Terre pour sauver l’humanité », « est prêt à se sacrifier », voire même que « quelques humains se sont comportés comme des cons avec lui »…
En réalité, les parallèles entre ce personnage de BD culte et la culture judéo-chrétienne ne sont pas nouveaux. La précédente adaptation cinématographique des aventures de l’homme d’acier, Superman Returns (de Brian Singer, sorti en 2006), insistait déjà plutôt lourdement sur le parallèle avec le Christ. Et en France, en 2007, une exposition au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme s’intéressait déjà aux liens qu’entretenait le personnage, créé en 1932 par Jerry Siegel et Joe Shuster, avec la culture juive. Le parallèle était alors surtout établi entre Superman et Moïse (placé par ses parents dans un panier/vaisseau spatial, guide pour son peuple, etc.).
Mais malgré l’énergie déployée par la production et les précédents, tous les chrétiens ne semblent pas convaincus par la pertinence de ce parallèle. C’était déjà le cas du pasteur Mark Sandlin, cité le 18 juin dans la Matinale de La Vie. Pour lui, la différence entre les deux figures dans leur rapport à la violence semblait disqualifier d’emblée tout rapprochement : « une part du succès de ces films, ce qui les rend attractifs, repose spécifiquement sur le fait qu’ils perpétuent l’idée selon laquelle la violence est bonne, ou tout au moins efficace ». Or, « dans l’histoire chrétienne, le salut est offert par la croix, par un héros qui livre sa vie au lieu de se débarrasser de tous les méchants. Sa vie et sa mort sont l’incarnation même de cette idée : il n’y a rien de rédempteur dans la violence ».
C’est aussi l’avis d’Alicia Cohn, qui signe dans le magazine évangélique américain Christianity Today un article intitulé, de façon très directe : « Superman n’est pas Jésus ». « Même en tant que chrétienne appréciant les héros de comics, je ne vois pas Superman comme un sauveur. (…) Il peut représenter des valeurs différentes aux yeux des uns et des autres : pour moi, il est surtout la figure ultime du bienfaiteur. » Elle remarque par ailleurs que « ce n’est pas un hasard si les références chrétiennes surgissent à ce point » avec la sortie du film Man of Steel, qui n’est selon elle que le dernier d’une longue série de longs métrages à faire l’objet d’un « marketing chrétien » aux Etats-Unis. D’autres films, comme Le Seigneur des Anneaux ou Le Monde de Narnia, ont en effet bénéficié ces dernières années, certes de façon davantage justifiée d’un point de vue historique, de campagnes insistant sur leur symbolique chrétienne.
Quoi qu’il en soit, la volonté de placer le fils de Krypton dans les pas du Fils de Dieu n’a visiblement échappé à personne. Au point d’inspirer un internaute qui a mis en ligne un mashup (mélange volontaire de deux films très différents en terme de style) du son de la bande annonce de Man of Steel sur des images de La Passion du Christ, de Mel Gibson. Une façon de se moquer gentiment de la communication du studio, ou de rendre au débat sa véritable place : celle d’un clin d’oeil de pur divertissement. A l’américaine.