Sondage exclusif Ifop
Ce sondage exclusif Ifop pour « La Croix » révèle l’image très positive des prêtres dans la société française, toutes catégories confondues. L’enquête montre aussi que la moitié seulement des jeunes de 18 à 24 ans ont déjà été en contact avec un prêtre. Une façon originale d’aborder avec des élèves leurs représentations des hommes d’Eglise et des personnes investies par leur religion d’une fonction religieuse. L’occasion, pour ces élèves de nommer ces personnes et de les distinguer.
Le Père Risso, messe d’enterrement dans sa paroisse d’Objat / Marc Chaumeil
Pour l’immense majorité des Français, le prêtre est « un homme d’écoute » : ils sont 83 % à le dire, 98 % des catholiques pratiquants et tout de même 68 % des sans-religion. Un véritable plébiscite que leur envieraient sans doute nombre d’hommes politiques ou de professionnels, médecins ou journalistes par exemple…
Comme elle le fait régulièrement depuis 1993, La Croix a souhaité interroger à nouveau le rapport qu’entretiennent les Français avec leurs prêtres. Leur image est extraordinairement positive, « étonnamment positive même », reconnaissent un certain nombre de prêtres que nous avons interrogés. Dans une actualité récente, difficile voire terrible pour l’Église catholique – raréfaction des vocations presbytérales, révélations en série de crimes ou de délits sexuels commis par plusieurs d’entre eux et « couverts » par leur hiérarchie – et après des décennies d’une sécularisation massive, on pouvait l’imaginer plus abîmée, ou tout simplement pâlie.
L’image du prêtre reste étonnamment stable
À première vue, il n’en est rien. 71 % des Français (contre 67 % en 1993) considèrent le prêtre comme « proche des autres hommes ». Un sur deux (soit 11 points de plus qu’il y a vingt-quatre ans) le juge même « heureux, épanoui ». Les Français n’hésitent pas à poser les mots de la foi : 52 % continuent à les voir comme « des témoins de Dieu sur la terre ». Les qualificatifs majoritairement retenus pour les désigner sont dans la même veine : les prêtres sont jugés « disponibles » à 76 %, mais aussi « dignes de confiance » (68 %). « Cette image globale est contraire à ce que l’on entend dans les milieux catholiques, relève le Père Jean Rouet, vicaire général du diocèse de Bordeaux. Le prêtre y est généralement considéré comme injoignable, pressé et débordé de travail. »
L’image du prêtre reste donc étonnamment stable. Il est jugé à la fois « ouvert » et « moralisateur » exactement dans les mêmes proportions. Alors que les évêques ont bien du mal à conserver le maillage territorial de l’Église, les Français eux sont convaincus que lorsque le besoin s’en fera sentir, un prêtre sera disponible pour eux, auquel ils auront envie de se confier.
L’Église ne fait « plus peur »
Interrogés sur l’impact pour eux des révélations d’actes pédophiles commis par des membres de l’Église catholique, les sondés reconnaissent qu’elles ne les ont pas laissés indemnes : pour les deux tiers des Français, l’image des prêtres a été « affectée » par ces affaires, et même 70 % des 35-49 ans, autrement dit ceux qui sont en âge d’avoir de jeunes enfants. Mais les non-pratiquants sont plus nombreux dans ce cas que les pratiquants.
La photographie est tellement belle que l’on peut s’interroger : ne s’agirait-il que d’une image d’Épinal ? C’est en tout cas l’hypothèse de certains spécialistes. « L’image et le rôle du prêtre font consensus, s’étonne la sociologue Céline Béraud. Peut-être est-ce parce que cette figure ne fait plus débat, parce qu’elle est devenue une figure lointaine ? »
À ses yeux, cette représentation positive pourrait n’être finalement que l’aboutissement ultime de la sécularisation : privée d’autorité morale, l’Église – et donc le curé – ne fait « plus peur ». Directeur de l’Ifop, Jérôme Fourquet se demande, lui aussi, s’il ne faut pas voir là l’explication d’une sorte d’erreur de perspective : « De nombreux Français voient les prêtres comme des hommes heureux, disponibles. Visiblement, ils ne connaissent pas réellement leur vie, leur isolement, leurs difficultés matérielles, l’étirement géographique de leurs paroisses. »
Différences significatives selon l’âge des sondés
Pourtant, et c’est l’un des enseignements majeurs de cette étude, les Français sont encore nombreux à avoir été « en contact au cours de leur vie » avec l’un d’entre eux ; mais cette proportion s’effondre littéralement chez les plus jeunes. Alors que 76 % des Français, toutes tranches d’âge confondues, répondent par l’affirmative (dont 31 % à de nombreuses reprises et 45 % rarement), seul un jeune de 18 à 24 ans sur deux est dans ce cas. L’enquête « objective » en quelque sorte. Et, pour la première fois, ce que les sociologues et de nombreux pasteurs pressentaient. À plusieurs reprises, les réponses font apparaître des différences significatives selon l’âge des sondés.
Une rupture générationnelle problématique, soulève Mgr Jean-Marc Eychenne. L’évêque de Pamiers (Ariège) relie directement la perception des prêtres par les Français avec la question des vocations presbytérales : « L’éveil des vocations passe par une identification possible de jeunes aux prêtres. Or ici, on sent bien que l’image des prêtres est plus négative chez les plus jeunes. » Autre frein possible, selon lui, à l’attrait de la prêtrise : le fait que les prêtres ne soient « utiles pour la cohésion sociale » que pour 55 % des Français.
De fait, l’« utilité sociale » des prêtres apparaît globalement en baisse : un peu plus de la moitié seulement de la population les considère comme « utiles à la quête de sens ». Et le même nombre estime (notamment chez les actifs et dirigeants d’entreprise) qu’ils sont « éloignés des réalités ». Cette recherche « d’efficacité et de prise rapide sur le réel », n’étonne pas le Père Jean Rouet. « Les prêtres sont très peu visibles dans le travail de transformation sociale. Nous ne ”servons” plus à rien : on fait beaucoup moins l’école, les colonies de vacances, les patros », souligne-t-il, plus inquiet de voir les attentes des catholiques pratiquants se porter sur « la transmission des valeurs ». « La vie chrétienne a tendance, dans cette perspective, à se réduire à une morale. »
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Méthode. L’enquête de l’Ifop pour La Croix a été menée auprès d’un échantillon de 2 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 28 avril au 3 mai 2017.
Nombre de prêtres diocésains en France (chiffres de la Conférence des évêques de France).11 908 en 2015 contre 16 075 en 2005. Sur ces 11 908 prêtres, moins de la moitié sont encore actifs : environ 5 800 en 2014, les autres sont à la retraite.
Projections (lire dans La Croix datée du 7 juin 2014, « l’Église de France en 2024 »). L’Église de France devrait compter moins de 4 300 prêtres diocésains actifs en 2024. Nés dans les années 1940-1950, ordonnés dans l’immédiat après-Concile, les prêtres de la génération du « papy-boom » seront partis à la retraite.
Ordinations. Une centaine de nouveaux prêtres ont été ordonnés en 2016, dont environ 80 prêtres diocésains et une vingtaine de membres d’institutions religieuses. En 2006, 135 prêtres avaient été ordonnés.
Vignette : Ordination de Baptiste Aubas à la cathédrale de Stasbourg le 28 juin 2017 (photo Alsace-Média)
Article et source : La Croix (Loup Besmond de Senneville et Anne-Bénédicte Hoffner)