Ne pas le faire serait nier son existence ou considérer qu’il ne sous-tend aucune valeur humaine et sociale
Ouest-France / 25 novembre 2020
Pour Ali Aït Abdelmalek, professeur des Universités en sociologie et président du Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Pays (GERP), « le fait religieux devrait être enseigné à l’école. Ne pas le faire serait nier son existence ou considérer qu’il ne sous-tend aucune valeur humaine et sociale. »
Dans sa « Lettre aux instituteurs », Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique, rappelait les deux dispositions de la loi du 28 mars : Tout dogme particulier est mis en dehors du programme obligatoire d’enseignement et l’enseignement moral et civique est mis au premier plan ».Ainsi, l’instruction religieuse appartient à l’Eglise et aux familles, l’instruction morale, à l’école.
Le législateur, dans la loi du 9 décembre 1905, n’a pas fait une œuvre purement négative : si son premier objet était de séparer l’Ecole de l’Eglise, il s’agissait aussi de permettre et d’assurer la liberté de conscience, non seulement des élèves mais aussi des maîtres. La distinction entre deux domaines souvent confondus était actée : d’une part celui des croyances, qui sont personnelles et intimes, libres et variables ; d’autre part, le domaine de la connaissance, des savoirs, fondé sur les notions de devoirs et de droits.
Une société de plus en plus impersonnelle
L’enseignement du fait religieux est-il une urgence?, interrogeait le philosophe et écrivain Régis Debray. Dans une société de plus en plus impersonnelle, marquée par la progression technologique et numérique, les femmes et les hommes ne trouvent plus, forcément, leur place. On constate, aussi, un manque de « spiritualité » patent ! L’Ecole de la République n’offre-t-elle pas, justement, une voie humaniste et citoyenne, pour construire des personnes libres et responsables, notamment à partir de l’enseignement de spiritualités plurielles qui pourront s’exprimer sous des formes diverses ?
Nous pensons, en effet, que l’enseignement du fait religieux (et nous n’avons pas dit, de la religion !), dans l’école de la République est, aujourd’hui plus qu’hier, un défi. Il s’agit que tous les enfants puissent connaître exactement quelques vérités sur leur origine, leur religion et celles des autres. Tout simplement, pour pouvoir mieux s’accepter. Sans ces enseignements, les situations explosives que l’on est en train de connaître risquent de se multiplier et, malheureusement, de prendre de l’ampleur.
Un fait religieux est un « fait social »
Un fait religieux est un « fait social », pour reprendre le concept du sociologue français Emile Durkheim. Il est à la fois observable et vérifiable, relatif aux religions comprises comme des activités humaines qui s’inscrivent dans une organisation sociale, un territoire, une histoire des hommes et des sociétés, une culture, voire une civilisation. Ce « fait social » et donc historique est à comprendre comme tel. Car l’humanisme civilisationnel, et laïc, devrait pouvoir enseigner tous les faits sociaux. Depuis que l’humanité existe, les récits, les mythes, ont toujours été narrés : pourquoi cela s’arrêterait-il ?
Dès lors que l’Ecole, institution de la République, a pour mission d’instruire et de transmettre des connaissances, d’enseigner l’esprit critique à des enfants, ils deviendront alors, beaucoup moins passifs, notamment sur les réseaux sociaux , et surtout, bien moins manipulables.
Le fait religieux devrait donc être enseigné à l’Ecole. Ne pas le faire serait nier son existence ou considérer qu’il ne sous-tend aucune valeur humaine et sociale. Ce serait non seulement abandonner une partie de l’histoire, et donc de la culture de l’humanité, mais aussi laisser la porte ouverte aux extrémistes, leur permettant de justifier leurs positions, d’édicter leurs propres règles tout en faisant du prosélytisme religieux ou communautaristes. Mais toujours contre la République laïque et la Démocratie !