L’effet « Matthieu » en éducation

Là où l’évangile inspire les pédagogues

L’effet Matthieu tire son nom d’un verset du Nouveau Testament (Matthieu 25, 29). Celui-ci dit : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. »

On pourra toujours contester la lecture de ce verset sorti de son contexte. Mais néanmoins, il reste utile que les IDR et les PDR connaissent cet effet. Ils sauront d’autant mieux installer les mesures pédagogiques nécessaires pour en limiter les effets dans le cadre de leur enseignement.Quelques pistes :

Quelques pistes :

  • Transférer (réinvestir) ce que les élèves ont appris dans d’autres disciplines (lecture, écriture, sciences, etc.).
  • Profiter de toutes les occasions pour permettre aux enfants de lire et écrire.
  • Prévoir des textes faciles pour les élèves plus lents.
  • Donner à écrire des textes plus ou moins longs en fonction des compétences de chacun.
  • Ne pas faire passer les objectifs du programme avant les compétences des élèves.
  • Encourager, stimuler, valoriser, complimenter sans flagornerie mais avec enthousiasme.
  • Prendre le temps de mieux connaitre les élèves en interrogeant la ou le titulaire de la classe.
  • Se renseigner quant aux dispositifs pédagogiques mis en place par l’enseignant titulaire pour s’installer dans son sillage.

(Photographie : Josh Cunliffe)

Sa signification est que ceux qui rencontrent le succès ont plus de chances de se voir offrir de nouvelles opportunités qui vont amplifier leur réussite. Ceux qui rencontrent des difficultés ou de l’échec risquent de s’en retrouver privés.

Le terme est dû au sociologue américain Robert K. Merton. Celui-ci, dans un article publié en 1968, cherchait à montrer comment les scientifiques et les universités les plus reconnus tendaient à entretenir leur domination sur le monde de la recherche au détriment des autres.

Effet Matthieu dans le cadre de la lecture

L’utilisation du concept dans la cadre de l’éducation est redevable à Keith Stanovich, qui enseigne la psychologie appliquée et le développement humain à l’université de Toronto.

Il a utilisé l’effet Matthieu pour décrire la manière dont les nouveaux lecteurs acquièrent les compétences en lecture :

  • Un développement rapide dans l’acquisition des compétences en lecture conduit généralement à des succès ultérieurs en lecture, au fur et à mesure que l’élève grandit et se développe.
  • Un développement tardif ou imparfait de compétences en lectures peut être le signe de problèmes ultérieurs dans l’apprentissage de nouvelles compétences, attribuables à une lecture imparfaite. Lorsque ces élèves ont besoin de lire pour apprendre, leur difficulté à lire va créer des difficultés supplémentaires dans la plupart des autres matières. 
  • Très tôt dans le processus de lecture, les lecteurs plus faibles, qui éprouvent plus de difficultés à briser le code orthographe/son, commencent à être exposés à nettement moins de texte que leurs pairs plus compétents.
  • Les élèves qui prennent du retard dans la lecture lisent moins et ont moins envie de lire. Ce phénomène accroît l’écart entre eux et leurs pairs. Ainsi, ils sont susceptibles de prendre de plus en plus de retard à l’école. À long terme, ils rencontrent un risque plus élevé de rencontrer l’échec ou d’abandonner leurs scolarité avec une probabilité plus élevée que leurs condisciples bons lecteurs. 


Impacts possibles sur le long terme 

Au plus tard nous agissons sur des élèves qui présentent des retards précoces en lecture ou en mathématiques, plus les déficits se généralisent et s’infiltrent dans de plus en plus de domaines de la cognition et du comportement.

Le fait que les lecteurs moins qualifiés se retrouvent souvent face à des documents trop difficiles pour eux exacerbe encore davantage le problème. La combinaison d’habiletés de décodage déficientes, d’un déficit de pratique et de documents difficiles entraîne des expériences de lecture précoce non gratifiantes. Celles-ci mènent à une participation moindre aux activités liées à la lecture, à un apprentissage moindre et à une baisse du sentiment d’efficacité personnelle et de la motivation qui leur sont corollaires.

Le sociologue Daniel Rigney (2010) précise que le fait que les élèves aiment lire les amène à lire davantage. Ceci contribue à faire d’eux de meilleurs lecteurs et accentue le plaisir qu’ils ressentent lors de la lecture. Le processus se nourrit de lui-même, créant un cycle qui se perpétue et s’amplifie.

L’élève qui déteste lire aura tendance à lire moins. Ce phénomène entravera le développement de la maîtrise de la lecture et la réussite scolaire, et fera de l’école une expérience encore plus décourageante.

Certains élèves sont dans une spirale ascendante et d’autres se retrouvent dans une spirale descendante qui risque de leur faire connaitre un avenir difficile, parfois sans que ce ne soit aucunement de leur faute. Des interventions précoces d’aide sont susceptibles de changer la donne.


De l’importance d’intervenir tôt

Il est important de comprendre la dynamique de l’effet Matthieu. Nous devons prendre conscience de la nécessité d’agir préventivement. Il s’agit de remédier dès que possible aux difficultés rencontrées par des élèves au niveau de la lecture, avant qu’elles ne s’amplifient.

Les conséquences peuvent même se faire sentir au niveau de l’évaluation de certains paramètres du QI. Des lecteurs à faibles compétences risquent d’avoir de fait des résultats plus faibles. Les élèves qui souffrent de dyslexie risquent également d’être particulièrement victimes de l’effet Matthieu si nous n’y prenons pas garde pour les mêmes raisons.


L’impact des connaissances

L’effet Matthieu dans le secteur éducatif ne se limite pas à l’apprentissage de la lecture et à ses conséquences, mais est susceptible d’avoir un impact direct dans de nombreux autres domaines.

Plus largement, dans tout contexte d’apprentissage, les meilleurs élèves tendent à accroître leur avance et les écarts de niveau s’agrandissent au fil du temps. L’apprentissage de la lecture a des conséquences profondes sur le développement des capacités cognitives. Au plus nous lisons et au plus notre vocabulaire s’enrichit, au plus il devient facile de lire et d’enrichir notre vocabulaire, etc. Appliqué à n’importe quel sujet ou n’importe quelle matière, un bon lecteur va accumuler plus rapidement des connaissances qu’un mauvais lecteur.


Le contexte de la mémoire

Une bonne lecture favorise aussi le traitement de l’information et donc la qualité et la quantité de réflexion. Là s’entame un autre cercle vertueux :

  • Au plus nous pensons, au plus nous pouvons connaitre.
  • Au plus nous connaissons, au mieux nous pouvons penser.

Cette considération illustre la relation entre la mémoire de travail et la mémoire à long terme comme le met en évidence Peps Mccrea (2017) :

  • Au plus nous accumulons des connaissances intégrées à des schémas cognitifs performants en mémoire à long terme, au plus efficace sera le traitement cognitif en mémoire de travail. Les ressources limitées de la mémoire de travail seront mieux exploitées.
  • En effet, toute connaissance acquise en mémoire à long terme ne ponctionne plus parmi les ressources limitées de la mémoire de travail. Celles-ci sont limitées au stockage de quatre nouveaux éléments en moyenne (plus ou moins un), pour une durée de temps limité.


Cas des matières cumulatives

L’effet Matthieu peut se retrouver dans de nombreux autres domaines, eux aussi marqués par un caractère cumulatif des connaissances comme les mathématiques ou les sciences.

Deux élèves au départ ne vont se différencier que par leurs capacités initiales, leurs compétences, leur persistance, leurs habitudes de travail, etc.

Ces différentes caractéristiques vont procurer à des individus particuliers un avantage précoce. Ces facteurs ont un effet multiplicateur, les avantages cumulatifs des premiers répondent à des désavantages cumulatifs des seconds.

Si en mathématiques, en chimie ou en physique, des notions de base ou des procédures de calcul ne sont pas maîtrisées couramment, le décalage entre les deux profils d’élèves n’ira qu’en s’accentuant. Les premiers récoltent plus de renforcement positif et vont voir leur auto-efficacité s’amplifier. Les seconds la verront se réduire car ils rencontreront plus d’échecs et s’engageront de moins en moins volontairement dans ces tâches.

Cela peut mener à des élèves qui se démotivent. Ils peuvent renoncer à faire des efforts, ou n’établir qu’un apprentissage superficiel tandis que d’autres approfondissent leurs compétences.

Les connaissances antérieures des étudiants ont par là même un effet majeur sur leur réussite. Les élèves les plus avancés ont plus de chance de réussir à l’examen, car ils sont plus proches du but, du niveau à atteindre. Mais en regardant de plus près, nous constatons que ces élèves ne font pas que mieux réussir, ils progressent davantage et accumulent des avantages ultérieurs.


L’impact de la charge cognitive

L’effet Matthieu peut être expliqué également au travers de la théorie de la charge cognitive :

  • Les apprenants qui ont plus de connaissances sur le sujet :
  1. Vont avoir plus de facilités pour réaliser les tâches que l’enseignant leur propose, notamment quand celles-ci sont complexes ou exigeantes. Elles vont représenter pour eux une charge intrinsèque plus facilement gérable.
  2. Cette facilité à réaliser la tâche libère des ressources cognitives pour l’apprentissage lui-même, c’est-à-dire pour l’élaboration de nouvelles connaissances. Ils disposent d’une charge essentielle plus importante et s’engage dans un traitement cognitif plus génératif.
  • Les apprenants qui ont moins de connaissances sur le sujet
    • Ils vont rencontrer plus de difficultés pour réaliser les tâches que nous leur proposons, particulièrement quand celles-ci sont complexes. Elles risquent de présenter pour eux une charge intrinsèque trop élevée. 
    • La saturation de la charge cognitive fait qu’ils ne disposent plus assez de ressources pour la charge essentielle, ce qui limite fortement leurs apprentissages. Ils produisent un traitement moins génératif.

Le manque de connaissances dans un domaine donné, tout comme une tâche trop exigeante, fonctionnent comme une double peine. En pénalisant la réalisation de la tâche, nous créons des difficultés pour ces élèves qui pénalisent leurs apprentissages.

L’effet Matthieu montre notamment le danger lié à la différenciation et l’importance de soutenir fortement les élèves qui ont des difficultés dans les premiers stades. Si ces difficultés ne sont pas traitées rapidement, elles engendrent des conséquences parfois insurmontables par la suite. Si ces difficultés sont traitées rapidement (par exemple par un préenseignement), alors tous le élèves peuvent apprendre en même temps les mêmes contenus sans nécessiter de différentiation pénalisante.

Cet effet existe à toute l’échelle du système scolaire. À capacités initiales égales, plus un individu sera stimulé, par son milieu familial et par son environnement éducatif, plus il profitera du système scolaire en accumulant des connaissances et des compétences. Il a toutes les chances de mieux réussir et de mieux progresser.

Mis à jour le 10/12/21
Source : Par temps clair – pratiques enseignantes éclairées par la recherche


Bibliographie

Cunningham, Anne and Stanovich, Keith. (1998). What reading does for the mind. American Educator. 22.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Matthieu

Franck Amadieu, André Tricot. Les facteurs psychologiques qui ont un effet et sur la réussite des étudiants. Psicologia USP, Universidade de São Paulo, 2015, Réussite et échec en langues de spécialité, XXIV (2)

Peps McCrea « Memorable teaching », 2017

Saga Briggs, The Matthew Effect: What Is It and How Can You Avoid It In Your Classroom?, 2013, https://www.opencolleges.edu.au/informed/features/the-matthew-effect-what-is-it-and-how-can-you-avoid-it-in-your-classroom/

Daniel Rigney, The Matthew Effect, 2010, Columbia University Press