Tout est faux, mais tout est vrai
La sortie du film donne l’occasion aux médias de revenir sur cet incendie. De ce fait, les images, les commentaires ne manquent pas pour relever avec nos élèves quelques points importants que soulèvent ce drame. Notamment la question du patrimoine.
> L’importance du patrimoine
> Le respect du patrimoine
> Le patrimoine disparu en France ou à travers le monde
> Le patrimoine sacrifié pour des raisons idéologiques, religieuses, politiques…
> Le patrimoine invisible (parce que trop commun)
> Les différentes formes de patrimoine (au-delà de la pierre, les paysages, les écrits, les traditions…)
> Etc.
Source : Louis Daufresne – publié le 20/03/22
Le rédacteur en chef de Radio Notre-Dame a vu le film de Jean-Jacques Annaud, « Notre-Dame brûle ». « La cathédrale suinte, souffre, hurle par tous les pores, et si la caméra ne s’arrête jamais sur les vitraux ou les rosaces, c’est pour mieux entrer dans la passion de ses mystères douloureux. »
Annaud Domini ! À 78 ans, le cinéaste Jean-Jacques Annaud brûle d’un feu qui, sans être celui de la foi au Christ, enflamme l’écran, l’œil, la salle, le public et l’inonde à la fois de tout son talent. Si Le Nom de la rose (1986) était sulfureux, odieux, glacial, avec Notre-Dame brûle, c’est « le nom de l’arrose ». L’uniforme des pompiers remplace la robe de bure des moines bénédictins. L’abbaye du nord de l’Italie cède ses méandres secrets à la cathédrale parisienne dont la carcasse forme le huis clos vertical et infernal d’une intrigue haletante jusqu’au bout. Le drame dure 1h50. Pas une seconde ne passe sans que la suivante nous ait déjà pris par la main. Il est vrai que l’histoire s’y prête totalement. On sait, comme dans un James Bond, que la bombe sera désamorcée à la dernière seconde, que le pire sera évité. Sur ce mode, des films hollywoodiens font couler les dollars grâce à des scénarios faciles marchant à tous les coups, telle La Tour infernale (1974). L’horreur s’y mêle à l’héroïsme, la négligence des uns est rachetée par le courage des autres. On met en scène la rédemption.
Une larme sur la joue de la Vierge
Dans Notre-Dame brûle, les langues de feu ne sont pas d’or ni évangéliques mais de plomb, de celui qui dégueule de la toiture par des gargouilles crachant une pluie acide apocalyptique. La cathédrale y est un volcan, un monstre tantôt noir et humide, une caverne hostile, tantôt rougeoyante, fumante et irrespirable. Insistons d’abord sur la forme, la reconstitution des scènes de feu, époustouflante de réalisme. Si les grandes dames de Sens et de Bourges prêtèrent leurs costumes de pierre, songez que Jean-Jacques Annaud mit le feu à une vraie charpente fabriquée pour les besoins du film ! À de nombreuses reprises, on se demande si on n’est pas en présence d’archives. Les studios de Bry-sur-Marne, ajoutés aux plateaux de la Cité du cinéma de Saint-Denis, déploient toute leur puissance d’industrie du travestissement. On se prend à penser qu’on peut faire dire n’importe quoi à ce que l’on montre. On le savait déjà, ici on l’éprouve. La seule parole serait-elle seule source de vérité ? Même Anne Hidalgo, voyant la fumée s’échapper au loin par la fenêtre de son bureau, paraît saisie sur le vif.
Un plan magnifique, le plus beau à mon sens, s’arrête sur une goutte tombée « par hasard » sur la joue de la Vierge du Pilier.
Ce réalisme s’ajoute à un jeu de caméra audacieux et soigné, tantôt serré, tantôt déployé, surplombant, traversant. On nous promène dans l’édifice mieux qu’à Space Mountain, sans jamais verser dans l’écueil de la promotion publicitaire. La cathédrale suinte, souffre, hurle par tous les pores, et si la caméra ne s’arrête jamais sur les vitraux ou les rosaces, c’est pour mieux entrer dans la passion de ses mystères douloureux. Un plan magnifique, le plus beau à mon sens, s’arrête sur une goutte tombée « par hasard » sur la joue de la Vierge du Pilier — qui se met à pleurer avec nous. Une autre image marie le déluge et les flammes, reliés par la mélodie insolite produite par l’eau à haute pression frappant les cloches. Cette esthétique rattrape un jeu d’acteurs parfois moyen et un peu lent, pas aussi trépidant qu’on pourrait l’espérer. On n’est pas dans Mission impossible. Jean-Jacques Annaud préféra la transpiration, la persévérance aux acrobaties et au vertige. Et c’est bien ainsi.
Dysfonctionnements et bravoure
Passons à présent au fond. Presque trois ans après l’incendie, le cinéaste ambitionnait de remonter le fil de la catastrophe et, dit-il, de la « cascade de dysfonctionnements » qui faillirent compromettre le sauvetage du joyau gothique. Songe-t-on à quel point il est miraculeux qu’il ne se soit pas effondré, et nous avec lui ? « Quand je me suis penché dans la documentation après l’incendie, je ne pouvais pas y croire alors que tout s’est révélé vrai… », confie Jean-Jacques Annaud à l’AFP. Tout y passe : les défaillances de vérification des alarmes incendie, l’absence de surveillance vidéo dans la « forêt » ou le « gardien de levée de doute » (chargé de vérifier la réalité d’un feu) allant vers les combles de la sacristie au lieu des combles de la nef. Citons encore les embouteillages parisiens clouant les secours sur le bitume, sans oublier les Vélib’ en panne — fait tout aussi avéré — retardant le retour précipité du régisseur, Laurent Prades. Sa course contre la montre forme quasiment une histoire dans l’histoire. Il est le seul à avoir sur lui la clé donnant accès à la châsse de la couronne d’épines, trésor de Notre-Dame sauvé de justesse. Laurent Prades était au château de Versailles le jour du drame. Le Bon Dieu aurait-il envoyé un ange pour sauver sa couronne si Laurent Prades s’était trouvé à l’étranger ? Comment une telle relique peut-elle être laissée à la discrétion d’une seule personne ?
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On est stupéfié par la légèreté des procédures, à tous les niveaux, tout au long du film. Les services de l’État ne ressortent pas grandis de cette reconstitution, y compris les pompiers, mal équipés, mal armés, mal engagés aux premiers moments du drame, obligés de se replier. Le moment-clé se noue dans la conscience clairvoyante d’un homme, un soldat du feu non gradé affrontant son chef pour l’informer de l’inefficacité d’un dispositif et le persuader qu’il faut remonter entre les deux tours pour y donner l’assaut. Emmenant avec lui une escouade de volontaires prête à mourir pour des pierres, ils vaincront l’enfer et surtout en reviendront vivants. Ces actes de bravoure sont portés par la ferveur d’une foule bigarrée, unie comme jamais, comme si une seule âme s’était rassemblée d’elle-même pour recouvrir l’édifice en feu d’une vague de prières salvatrices. Jean-Jacques Annaud eut la bonne idée, touchante, de symboliser cette attente fragile du peuple des badauds, des touristes, des fidèles par la présence pure d’une petite fille, qui ouvre l’histoire et la referme.
Le mystère demeure
Dernier point, le plus polémique : l’origine de l’incendie. La brigade criminelle de la police judiciaire de Paris conclut récemment que le sinistre ne serait pas d’origine criminelle. L’enquête est toujours en cours pour savoir s’il s’agit d’un mégot ou d’un court-circuit. Notre-Dame brûle n’exclut aucune des deux pistes. On voit l’un des ouvriers du chantier de restauration fumer, malgré l’interdiction, près des poutres millénaires de la « forêt ». On voit aussi des pigeons picorer les câbles électriques des cloches ainsi qu’un soudeur provoquer des flammèches près d’une bouteille de liquide inflammable abandonnée. Si on ne voit pas de djihadiste, Jean-Jacques Annaud met dans la bouche d’un acteur une réplique furtive dont je ne me souviens plus mot à mot. Elle dit que si Daech avait voulu commettre un attentat, le lieu du départ de feu était idéal pour que Notre-Dame brûle.
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