Un métier, une vocation, une mission
L’écrivaine alsacienne, Éliette Abécassis, vient de publier un texte qui saura mettre du baume au cœur à tous ceux qui consacrent l’essentiel de leur vie à enseigner l’essentiel de la vie à des centaines, voire des milliers, d’élèves.
Que les parents s’emparent, également, de ces quelques lignes pour aider leurs enfants à percevoir l’intérêt de la relation asymétrique « prof/élèves ». Les profs sont des « passeurs sans lesquels la vie n’a pas de sens« .
En cette période de rentrée, prenez trois minutes pour lire les lignes qui suivent.
Voir la flamme grandir dans les yeux d’un élève
C’est la rentrée scolaire et nous faisons face à une crise sans précédent en France comme dans bien d’autres pays : rares sont ceux qui veulent devenir professeurs. Le plus beau métier du monde rebute tout le monde, car il n’est ni valorisé, ni encouragé et, surtout, les professeurs ont des salaires misérables, ils sont chahutés en classe, quand ils ne sont pas conspués ou agressés.
Mes parents sont enseignants. Ma mère, professeure de psychologie clinique, et mon père, professeur de philosophie et de Talmud. Ils ont consacré leur vie à leurs élèves, avec une mission qui dépasse tout, celle de transmettre. Mon père n’a pas son pareil pour enseigner la philosophie, la rendre vivante et actuelle. Grand pédagogue, orateur, philosophe dans l’âme, il a changé la vie de ses élèves. Ma mère, psychologue clinicienne, linguiste, psychanalyste, est douée d’une mémoire et d’une intelligence sans faille ainsi que du sens de la transmission, qui est comme une seconde nature chez elle. Adorée de ses élèves, elle les a marqués à vie. Pendant toute mon enfance, j’ai vu mes parents travailler nuit et jour : pendant les vacances, ils préparaient leurs cours, leurs articles et leurs thèses. Pendant l’année aussi, ils corrigeaient les copies, les mémoires et les thèses des élèves. Ils donnaient leurs cours, allaient à des colloques, des conférences, siégeaient dans des comités académiques.
Mes parents enseignants m’ont ouvert un monde. Ils m’ont ouvert le monde. Adolescente, j’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui ont poursuivi cette voie. Norbert Engel a fait naître en moi l’amour de la littérature, de la philosophie, et rien de moins que l’envie d’écrire. Christophe Régnier, véritable Socrate et accoucheur d’esprit que j’eus la chance d’avoir en hypokhâgne, est un grand maître de la philosophie, qui a changé ma vie à jamais.
.Et c’est ainsi que j’ai voulu moi aussi embrasser la carrière de ces héros de la pensée. C’était une évidence, je n’ai jamais pensé vraiment à faire autre chose qu’enseigner. J’ai suivi leur voie, j’ai fait des études de philosophie, j’ai marché dans leurs pas ; j’ai enseigné comme eux, je suis devenue professeure.
J’ai compris alors que le temps de l’enseignement est beaucoup plus que le temps où l’on enseigne. Il comprend de fait les heures passées à préparer les cours, celles à corriger les copies, celles à se former pour pouvoir renouveler son enseignement. C’est une vocation, plus qu’un métier, c’est parfois un sacerdoce, une mission. N’importe qui ne peut pas être professeur. Il faut avoir le niveau intellectuel et moral, ainsi que le désir de transmettre. Il faut aussi un sacré courage pour se retrouver devant une classe, avec comme défi de l’intéresser pendant une heure ou deux, à l’heure de l’image, des vidéos courtes, des stories Instagram, des SMS et du flux des notifications. Il faut de l’intelligence, du cœur et de la patience. Il faut aimer l’art et la culture et savoir en parler, il faut de la passion et de l’autorité, une âme d’enfant dans un corps de maître. Il faut se sacrifier, souvent souffrir – et parfois être aussi heureux qu’on peut l’être sur terre, lorsque l’on voit la flamme grandir ne serait-ce qu’une fois dans les yeux d’un élève. Cette petite lueur, c’est la récompense suprême, la gloire de l’enseignant, c’est comme donner une seconde naissance à un enfant. La question qui surgit, le regard qui s’éclaire, sur un mot, une idée, une leçon, c’est le monde qui s’ouvre.
Lorsque Emmanuel Macron a été élu lors de son premier mandat, les espoirs étaient grands, car le président est l’époux d’une enseignante, Brigitte Macron, qui, elle aussi, a changé sa vie. On parlait d’éducation, on parlait de roman national, on évoquait la philosophie de Paul Ricœur et sa réflexion sur la transmission. Mais qui va la narrer, l’histoire de notre pays, si ce ne sont les professeurs ? Je crois, aujourd’hui où la lecture est en passe de presque disparaître au profit des courtes vidéos et des images, je crois plus que jamais dans la transmission orale, celle qui vit et celle qui vibre. Celle de mes maîtres habités par la pensée, qui m’ont captivée par leurs paroles, qui m’ont passionnée.
Sans transmission orale du savoir par les hommes, il n’y aura plus d’hommes. Les professeurs éduquent nos enfants : ils sont les piliers du passé, les phares du monde. Ils sont les passeurs sans lesquels la vie n’a pas de sens.
La transmission est le cœur battant de nos vies. Je voudrais confier ce trésor à mes enfants, comme je l’ai reçu de mes maîtres, de mes professeurs, de mes parents.
Née à Strasbourg au sein d’une famille juive marocaine et pratiquante, Eliette Abécassis est devenue romancière, essayiste et scénariste. Le premier roman de cette agrégée de philosophie, « Qumran », l’a révélée au public en 1996. Vendu à 200 000 exemplaires, traduit en 18 langues, cet ouvrage est vite devenu un best-seller mondial. Un autre roman, « La Répudiée », lui a valu le prix des Écrivains croyants. Puis, en 2002, « Mon père » a été sélectionné pour le prix Goncourt et le prix Femina. « Clandestin » fera lui aussi partie des candidats au prix Goncourt en 2003. Son nouvel ouvrage paru le 20 février, « La transmission » (Robert Laffont), lève le voile sur son propre père, grande figure du judaïsme, qui fut scout, penseur, libre d’allure et surtout un homme de paix, de dialogue et de parole. Familière des réflexions philosophiques, Éliette Abécassis écrit sur le quotidien, la condition féminine, la maternité et ses tabous… Sur le plateau de KTO, elle explique pourquoi ces thèmes l’inspirent. Elle partage aussi les ressorts de sa foi personnelle et vivante.
19 mars 2022
Éliette Abécassis naît à Strasbourg le 27 janvier 1969 au sein d’une famille juive orthodoxe marocaine très pratiquante. Son enfance est imprégnée par le quotidien de la communauté juive strasbourgeoise. Son père, Armand Abécassis, enseigne la philosophie et est un penseur renommé du judaïsme dont la pensée a imprégné l’interprétation talmudique strabourgeoise. Il a notamment joué un rôle considérable dans la création et l’enseignement de l’école Aquiba de Strasbourg. Sa mère, Janine, est professeur et spécialiste de psychologie de l’enfant et du développement. Dans plusieurs romans à portée autobiographique, Éliette Abécassis déclare avoir été très influencée par le milieu et l’éducation religieuse sépharades, mais avoir également parfois été étouffée par elle et tentée de s’en émanciper à de nombreuses reprises, surtout au cours de sa jeunesse. Elle déclare son attachement à l’universalisme français.
Après le baccalauréat, elle quitte à 17 ans Strasbourg pour aller suivre à Paris des études en classes préparatoires littéraires — hypokhâgne et khâgne — au lycée Henri-IV3. Elle intègre par la suite l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, où elle obtient l’agrégation de philosophie, et enseigne ensuite la philosophie à l’université de Caen3. « Je n’étais pas beaucoup plus âgée que mes élèves. Ils étaient très bons, tous passionnés par la philosophie, qui ne débouche pourtant sur rien d’autre que sur elle-même3. »
À 23 ans, elle part un an aux États-Unis à l’université Harvard, grâce à une bourse d’étude. Elle écrit alors son premier livre, Qumran, un roman policier métaphysique qui traite de meurtres mystérieux liés à la disparition des manuscrits récemment découverts de la mer Morte.