Pour mieux vivre ensemble

Des cours de religion

Dans le journal « Ouest-France » du dimanche 03 avril 2022 – Article rédigé par le journaliste Grégoire Chérubini

La page entière (pdf) en téléchargement ci-dessous

Toujours existants en l’absence de laïcité en Alsace et en Moselle, mais de moins en moins populaires, les cours de religion tentent de se réinventer en devenant interreligieux.

En Alsace et en Moselle, territoires sans laïcité, des cours de religion sont proposés de l’école primaire au lycée.

Dans les mains de chaque élève, un manuel scolaire avec sur la couverture une croix chrétienne, une étoile de David et un croissant islamique. Aujourd’hui, nous allons étudier les différences architecturales entre les cultes protestant et orthodoxe, annonce à sa classe de 4e Gérard Denni, professeur de religion diplômé d’État en théologie. Au collège public Nicolas-Copernic de Duttlenheim, petit village alsacien à 20 km de Strasbourg, comme dans tous les établissements scolaires d’Alsace et de Moselle, des cours de religion sont proposés aux élèves du CP à la terminale.

Cet enseignement est possible car la laïcité ne s’applique pas dans ces trois départements du Grand Est, sous domination allemande lorsque la loi de 1905 est entrée en vigueur. Sans séparation des Églises et de l’État, les religions y sont toujours gérées par un régime concordataire vieux de 220 ans. L’Éducation nationale a donc pour obligation d’organiser un enseignement religieux pour les cultes catholique, juif, protestant luthérien et calviniste. Les élèves peuvent être dispensés sur demande des parents. En Alsace, ces cours ne sont plus fréquentés que par environ 50 % des élèves du primaire, 20 % au collège et 10 % au lycée. Des chiffres plus faibles encore en Moselle.

Gérard Denni déplore la baisse de popularité, arguant que ce cours permet à la fois de comprendre un héritage et de favoriser le vivre-ensemble . Il explique le déclin notamment par des contraintes d’emploi du temps et des craintes parentales, vis-à-vis d’un enseignement qui n’a plus rien à voir avec celui qu’ils ont connu à leur époque .

« Lutter contre l’obscurantisme » après les attentats

Car longtemps, l’enseignement religieux était du catéchisme. La principale du collège Nicolas-Copernic, Françoise Seners, se souvient : On faisait le signe de croix et on récitait des prières au début du cours. Dans les années 1980, elle avait demandé à ses parents une dispense au collège. Désormais cheffe d’établissement, elle se réjouit que les cours de religions aient évolué depuis une quinzaine d’années . Ils sont notamment devenus interreligieux.

Après les attentats de 2015, les autorités catholiques et protestantes alsaciennes ont élaboré un programme scolaire commun, validé par les autorités judaïques, islamiques et bouddhistes. Ils l’ont baptisé EDII, pour éducation au dialogue interculturel et interreligieux ».

Pierre Michel Gambarelli a enseigné pendant vingt ans à l’Université de Strasbourg le fait religieux. Pour lui, l’objectif était d’aborder les religions de manière transversale par rapport à la vie, à la mort, aux relations humaines, aux fêtes, rites et traditions… Car c’est le relativisme qui mène à hiérarchiser les religions. Il y voit une évolution essentielle pour lutter contre l’obscurantisme, mieux connaître et estimer les autres. » Pour Simone Barthel, elle aussi professeure de religion, les professeurs de religion répondent aux questionnements des élèves. « Souvent, les enseignants sont contents lorsqu’il y en a dans l’établissement car on peut parler des religions aux élèves, quand d’autres ne savent pas comment s’y prendre. Le mot religion fait peur, on nous demande si on ne peut pas renommer le cours pour qu’il passe mieux.

« Les autorités religieuses doivent sortir de l’Éducation nationale »

Christian Moser, secrétaire régional de l’Unsa éducation Grand Est et président de l’association alsacienne Laïcité d’Accord, ne voit pas d’un bon œil ce programme commun. Même s’il peut y avoir des bonnes choses, ça reste un rhabillage de l’enseignement du fait religieux. Comme les autorités religieuses sont en perte de vitesse, elles changent la recette en donnant un aspect davantage culturel, en phase avec leur temps. Mais elles restent maîtresses des programmes et des enseignants.

L’association laïque demande que l’enseignement religieux sorte des écoles. C’est normal que les autorités religieuses aient pour objectif de faire adhérer à leur foi, d’avoir des adeptes. Mais ça ne doit pas se faire dans le cadre de l’Éducation nationale.Une position partagée par le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, favorable à l’abolition du concordat. Aborder les religions peut être fait dans les programmes de l’éducation nationale. Pas besoin des religieux pour ça, ce n’est pas parce qu’un professeur d’histoire est laïc qu’il ne peut pas aborder les religions comme phénomène de civilisation.

« Parler de Dieu sans parler à Dieu »

Pierre Michel Gambarelli souligne qu’aujourd’hui beaucoup de parents musulmans souhaitent que leurs enfants suivent le cours pour connaître les autres religions. Quand les enfants comprennent que Jésus, chez les chrétiens, est Issa chez les musulmans et Yeshua chez les juifs, ils n’en reviennent pas ! raconte-t-il avec passion. Il regrette que quelques enseignants voient toujours ce cours comme un moyen de faire du catéchisme. Ma foi ne regarde que moi. Nous ne sommes pas à l’école de la République pour prier. On doit parler de Dieu sans parler à Dieu.

Tous les établissements n’ont pas choisi de donner le cours commun. Les élèves désireux de suivre les cours de religion doivent toujours choisir sur le papier entre enseignement catholique, protestant ou juif. Sept ans après son élaboration, le rectorat n’a pas décidé de généraliser l’enseignement de l’EDII.