Loi contre le séparatisme

Ce qui change et ne change pas en Alsace-Moselle

Les cultes concordataires regardent avec circonspection le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », même si en théorie rien ne change pour eux. Seuls les autres cultes présents en Alsace-Moselle, comme les bouddhistes ou les musulmans, sont concernés.

Myriam Ait-Sidhoum – Dna – 09 février 2021

Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », précédemment appelée loi contre le séparatisme, est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale avant de passer devant le Sénat. « Cette loi a vocation à contrôler mais aussi à permettre de mieux organiser le culte musulman », analyse Francis Messner, spécialiste du droit des religions, directeur de recherche émérite au CNRS, professeur à l’Université de Strasbourg, qui sera auditionné mercredi par le Sénat sur le sujet. L’universitaire s’attache à dépassionner le débat : « La mise en place d’une bonne organisation du culte musulman va permettre l’implantation d’un terrain favorable pour un islam serein et peut marginaliser les terroristes mais effectivement ça impacte les autres cultes. »

Le cas particulier de l’Alsace et de la Moselle et ce qui va changer

En Alsace-Moselle, les trois cultes statutaires, dits « concordataires » (catholique, protestant luthérien et réformé ainsi que juif) sont des établissements publics du culte. Autant dire qu’une loi qui entend davantage contrôler les associations cultuelles ne change pas grand-chose : ils sont déjà sous la tutelle de l’État. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, leur a d’ailleurs donné l’assurance que rien ne bougerait pour eux.

Les autres cultes de ces trois départements, le plus souvent arrivés après, comme les bouddhistes ou les musulmans, ne bénéficient pas des mêmes droits que les cultes statutaires, mais ils sont placés sous le régime des associations de droit local. Cela leur donne des avantages qui n’existent pas sur le reste du territoire où s’appliquent les lois de 1901 et de 1905 (séparation de l’Église et de l’État), comme la possibilité de toucher des subventions pour la construction d’un lieu de culte – dans le régime de séparation, ce n’est que pour les réparations – ou la possibilité de bénéficier d’exonérations fiscales, rappelle Francis Messner.

En France, les associations cultuelles protestantes et juives sont sous régime de 1905, les catholiques sont constitués en associations diocésaines et l’objectif est de convaincre les associations musulmanes, majoritairement en loi de 1901, de changer de statut. « La cible, c’est l’argent étranger. Les contraintes seront telles que les religions n’auront plus d’avantages à s’organiser hors du cultuel », estime Francis Messner. « Toutes les dispositions qui modifient la loi de 1905 vont s’appliquer aux associations d’Alsace-Moselle de droit local à vocation cultuelle. Elles feront l’objet de contrôles plus serrés, comme les cultes statutaires. » Précision, après une levée de boucliers localement, il n’y aura pas de renvoi à la loi de 1905 mais un rajout dans le texte. La nuance a son importance : une modification ultérieure de la loi de 1905 ne se verrait pas automatiquement répercuter dans le droit local.

Ce qu’en pensent les cultes statutaires

Mi-janvier, Mgr Luc Ravel a été auditionné avec Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. L’archevêque de Strasbourg a porté la voix « concordataire » puisque le sujet est vu et vécu différemment en Alsace : « Pourquoi cette attention à l’égard des cultes et pas des autres associations, cela contredit une forme de laïcité cardinale et entretient une défiance à l’égard de tout ce qui est religieux. » Et de remarquer que les questions posées aujourd’hui sont celle posées par Bonaparte en 1801, soit celles de l’interférence de l’étranger et du financement.

Le diocèse, en quête de nouvelles ressources, s’intéresse à l’article 31 du projet de loi qui permettrait aux cultes de gérer et tirer profit des immeubles de rapport issus de legs, pour leur fonctionnement. Mais pour Bernard Xibaut, chancelier du diocèse, cette évolution est peu probable pour les cultes statutaires et il relève que « les établissements publics du culte n’ont pas le droit (de gérer des immeubles) au nom du principe de spécialité. Mais ce serait quand même drôle que des associations musulmanes en Alsace puissent posséder des immeubles de rapport et pas les catholiques… Ce serait paradoxalement une injustice. »

« Nous sommes solidaires des autres cultes »

Sur la même ligne que la Fédération protestante de France, Christian Albecker, président de l’UEPAL (Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine), regrette que « le projet de loi vise un objectif louable avec de mauvais moyens. Il déroule toute une batterie de sanctions, alors qu’il faudrait favoriser la confiance et la responsabilité. Nos paroisses sont des établissements publics du culte et l’État peut déjà nous demander de rendre des comptes. On pourrait donc dire qu’en tant que cultes concordataires, nous ne sommes pas concernés par le projet de loi, mais ce serait un mauvais calcul. Nous sommes solidaires des autres cultes qui ont des associations de droit local à objet cultuel en Alsace-Moselle et qui vont être impactées, comme les associations loi 1905 et 1901 du reste de la France. »

« Il y a des victimes collatérales »

Harold Weill, grand rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, se dit de son côté « plutôt rassuré parce que pour le moment il n’est pas question de toucher au cadre local » et donc à l’organisation du consistoire. Mais il met en garde : « J’ai l’impression qu’avec cette loi on est vraiment en train de décrédibiliser l’ensemble des religions. Au départ il y a les dérives d’une religion mais pour une partie des dirigeants c’est l’occasion de jeter l’opprobre sur toutes les religions. Il est bien sûr légitime d’encadrer les pratiques extrêmes mais pour l’opinion ça incite à dire que les religions sont un danger. Il y a des victimes collatérales. L’enseignement à domicile par exemple ne nous concerne pas directement, mais c’est certain que tout ce qui ne rentre pas dans le moule est mal regardé. Il faut y être attentif et prendre garde à l’effet boule de neige. »


Comment le projet de loi ranime les antiennes politiques

Le projet de loi contre le « séparatisme » ravive suppliques et résistances. Jean-Luc Mélenchon veut profiter du texte pour abroger le régime concordataire d‘Alsace-Moselle. Les parlementaires alsaciens ont obtenu la réécriture de l’article concernant le droit local, sans référence à la loi de 1905.

Franck Buchy – DNA – 09 février 2021

L’effet Schmetterling ou l’effet papillon. Un petit battement législatif sur le droit local et le régime concordataire d’Alsace-Moselle provoque une tempête sur la rive occidentale du Rhin. Actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, le projet de loi confortant le respect des principes de la République n’échappe pas au phénomène. Jean-Luc Mélenchon a donné le ton dès l’ouverture des débats.

Le député de La France insoumise a pointé « un séparatisme religieux de fait, qui perdure depuis que notre territoire a été libéré de l’occupant allemand : celui de l’Alsace-Moselle, où les arrangements politiques de la sortie de guerre ont fait décider de ne pas toucher au concordat ». Il ne parle pas du « droit social alsacien », qu’il « proposerait volontiers d’étendre au reste de la France », mais de « cet accord qui garantit à trois cultes que leurs ministres seront pris en charge par l’État, à qui cela coûte 60 millions d’euros par an ».

« L’État est indifférent à la religion »

Le groupe parlementaire de la France insoumise a déposé un amendement pour « abroger » le régime concordataire d’Alsace-Moselle. « L’État n’est ni neutre, ni tolérant, ni égalitaire à l’égard des religions : il est indifférent », a justifié Jean-Luc Mélenchon en répétant que « la loi de 1905 doit s’appliquer sur l’ensemble du territoire français ». Son amendement a été rejeté par la commission.

La commission a en revanche adopté les amendements visant à réécrire l’article concernant le droit local, sans faire référence à la loi de 1905. C’était un des chevaux de bataille des députés alsaciens, de la majorité présidentielle comme des Républicains. Gérald Darmanin a entendu leurs arguments lors de son déplacement à Colmar le 15 janvier. « On voit bien que l’on transpose le droit national dans le droit local. Il peut y avoir un droit local sans qu’il soit indépendant des mesures nationales », a argumenté le ministre de l’intérieur en commission.

Inclusion scolaire ou aide aux handicapés

Concrètement, cela se traduit par la réécriture, dans le droit civil local, des dispositions applicables aux associations à objet cultuel d’Alsace-Moselle, et par l’application, en Alsace-Moselle, des nouvelles mesures relatives à la fermeture administrative temporaire des lieux de culte.

En attendant l’article 31 sur le droit local, les députés examinent une à une les dispositions du texte. Patrick Hetzel souhaitait éviter que des associations confessionnelles soient écartées d’un certain nombre d’appels d’offres des pouvoirs publics. Le député craint par exemple que des « associations d’inspiration protestante, qui agissent depuis longtemps dans l’inclusion scolaire ou l’aide aux handicapés, ne puissent plus répondre à des commandes publiques ».

Les associations islamistes « pourront être exclues »

Une telle association pourra candidater à un appel d’offres « mais les agents qui en assureront l’exécution devront respecter le principe de neutralité », lui a répondu Laurence Vichnievsky, rapporteure du texte, en indiquant avec ironie que Les Républicains « acceptent que des associations islamistes puissent candidater à des marchés de services publics ». « Non. Celles-là pourront être exclues », a répliqué Raphaël Schellenberger (LR).

« Les grandes associations humanitaires qui, tout en revendiquant dans leur statut leur caractère confessionnel, exercent des missions de service public – telle la CIMADE qui concourt à l’accueil des réfugiés au nom de l’Évangile – pourront toujours répondre aux appels d’offres de l’État », a précisé le rapporteur Florent Boudié. L’ancien socialiste passé à La République en marche s’y connaît en œcuménisme.

Photo : Michel Frison – Dna