Dans « Le fils de l’autre » de Lorraine Lévy, deux bébés – l’un israélien, l’autre palestinien – ont été intervertis. Un film plein de bons sentiments et d’espoir. Un exercice intelligent et sensible.
Un film, trois femmes (L’Express, Marianne, Le Figaro) et trois avis
Un Israélien et un Palestinien découvrent qu’ils ont été échangés à la naissance, dix-huit ans plus tôt. Passé le choc des deux familles aimantes et sans histoire, suivent les réactions, plus ou moins prévisibles : la colère des pères butés, l’amour des mères compréhensives, la haine automatique et effrayante du grand frère pour celui qu’il aimait. Mais comme il a un bon fond… Les deux jeunes intéressés, eux, survivent à cette remise en question de leur vie et de leurs origines en découvrant intelligemment l’autre et sa famille, mais aussi l’autre pays et ses habitants dont on leur avait appris à se méfier. C’est optimiste, peut-être naïf, mais beau.
Par Véronique Trouillet – L’Express
Lorraine Lévy, cinéaste française, s’est pour sa part assigné une mission pacificatrice. Son film, le Fils de l’autre, pourrait aussi bien s’intituler La vie (n’)est (pas) un long fleuve tranquille, reprenant très exactement le schéma du célèbre film d’Etienne Chatiliez (1988), tout en l’adaptant à la région. Cette fois, c’est lors d’un bombardement sur une clinique d’Haïfa que deux bébés ont été échangés à la naissance. Un petit juif a été remis à une famille palestinienne de Cisjordanie, on l’appellera Yacine. Et un petit musulman a été attribué à une famille israélienne de Tel-Aviv, il sera nommé Joseph. Tentant postulat. Hélas, ligotée par des scrupules aussi louables que handicapants, voulant éviter de prendre un parti pris politique ou idéologique qui la dépasserait, craignant surtout de se mêler de ce qui ne la regardait pas, Lorraine Lévy est passée, par timidité, à côté de son grand sujet. Lorsque Joseph, 18 ans, est sur le point d’entamer son service militaire, une simple prise de sang permet la traumatique révélation. Ses parents ne sont pas ses parents. Il interroge : « Je ne suis plus juif ? » Pas si simple. Il faut prévenir l’autre famille, passer les check points, longer ce mur gris qui écartèle le paysage et les consciences, arriver dans un autre monde. C’est ici que cela se gâte, devenant une sorte d’intifada au pays des Bisounours. Une fois la sidérante nouvelle partagée, les pères (Pascal Elbé, Khalifa Natour) sont très contrariés, les fils (Jules Sitruk, Mehdi Dehbi) deviennent de bons camarades, les mères (Emmanuelle Devos, Areen Omari) sont les artisans admirables d’une réconciliation aussi souhaitable qu’utopique. Eminemment sympathique, terriblement naïf. Restent les intentions, excellentes, reste le jeu d’Emmanuelle Devos, pudique et sensible. Au fait, comment dit-on « vœu pieux » en hébreu ?
Danièle Heymann – Marianne
Joseph (Jules Sitruk) est le fils de parents israéliens d’origine française, lui, officier (Pascal Elbé), elle, médecin (Emmanuelle Devos). À 18 ans, il se prépare à effectuer son service militaire, sans enthousiasme, car il préfère sa guitare. C’est alors que les examens médicaux révèlent un groupe sanguin incompatible avec ceux de ses parents. On découvre ce qui s’est passé: lorsque Joseph est né, un bombardement a bouleversé la maternité, et il s’est produit une involontaire substitution de bébés. C’est un couple palestinien (Khalifa Natour et Areen Omari) qui a hérité de l’enfant juif. Il a grandi sous le nom de Yacine (Mehdi Dehbi), et commence à présent ses études de médecine à Paris.
La blessure est vive
À partir de ce postulat de mélodrame (ou de comédie, voir La vie est un long fleuve tranquille de Chatiliez), Lorraine Lévy construit un film intelligent et léger, qui évite les pièges de la guimauve sentimentale aussi bien que ceux d’un didactisme pesant. Voilà deux adolescents confrontés à un trouble d’identité majeur, et deux familles contraintes d’admettre qu’elles ont élevé et aimé chacune pendant près de vingt ans non seulement un étranger, mais un ennemi.
Il y a là une forme de trahison qui est vécue comme un choc scandaleux par deux hommes: le père de Joseph (Pascal Elbé, remarquable), officier rationnel et rigoureux qui aime que les choses aillent droit. Et le frère de Yacine, jeune Palestinien en colère, ulcéré de découvrir qu’il a partagé tant de jeux et d’émotions avec un Juif. Mais les femmes, elles, trouvent tout de suite la sagesse du cœur, même si la blessure est vive, nostalgie des années perdues avec l’enfant de leur chair, crainte de voir s’éloigner l’enfant de leur amour. Il faut se rencontrer, s’inviter, ouvrir les maisons et les frontières, élargir l’espace pour que les deux garçons se sentent à l’aise aussi bien dans leur famille naturelle que dans leur famille d’adoption.
De fait, très vite, ils se mettent à circuler de part et d’autre du mur, curieux, touchés, s’apprivoisant mutuellement, expérimentant une étrange amitié où chacun est l’autre. Le charme du film tient à ce que, tout en captant les situations avec une sensibilité pleine de nuances, grâce à d’excellents interprètes, il ne cherche pas un réalisme inutile. Le Fils de l’autre est une figure de style, un chiasme intellectuel et spirituel qui intervertit la disposition habituelle des termes pour faire ressortir d’autres perspectives, des accords imprévus, des symétries insoupçonnées. Un exercice de souplesse. Une salutaire gymnastique du regard et du cœur.
Marie-Noëlle Tranchant – Le Figaro
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