Une oreille sensible aux maux des jeunes
En Alsace, l’association ToutJourLà (TJL) est à l’écoute des adolescents et étudiants depuis treize ans. Soutenue par le diocèse de Strasbourg, elle agit dans l’enseignement catholique et bien au-delà.
Catherine PIETTRE – 30 sept. 2023
Sonia (*) a une famille qu’on devine aimante, des frères et sœurs, un peu d’angoisse des examens, une phase de « détox » après une rupture amoureuse encore fraîche. Assise devant deux écoutantes de l’association ToutJourLà, dans leur minuscule bureau de la rue de L’Arc-en-Ciel à Strasbourg, l’étudiante déroule le parcours lambda d’une toute jeune femme à l’orée de sa vie. « Tu as tellement progressé dans la prise de parole ! » loue Marie-Marguerite Ancel, la cofondatrice et présidente de l’association. Thérapeute familiale, elle suit Sonia avec Pauline Kezer, éducatrice spécialisée. Les séances se font à trois, « comme un tabouret à trois pieds, pour l’équilibre et le recul ».
Solastalgie
Soudain, la voix de Sonia se brise. Ses douleurs au ventre l’ont reprise. Comme l’an dernier à la même époque. « Pourquoi ça revient toujours au même moment ? »
« Le plexus, c’est les nerfs. Je ne suis pas médecin, mais peut-être que les derniers événements que tu as vécus sont bouleversifiants (sic) pour toi », risque Marie-Marguerite Ancel, qui lui conseille natation et exercices de cohérence cardiaque. Mais Sonia est dans un autre scénario : elle vient de lire Les solastalgiques , le dernier livre de Martin Hirsch – « une de nos égéries ! » s’exclame la thérapeute. Le roman raconte une épidémie provoquée par l’angoisse du changement climatique chez les jeunes : anxiété, névrose, dépression, troubles compulsifs… « Ça fait peur », avoue Sonia.
« J’ai du mal à imaginer avoir des enfants »
Sonia aussi est une solastalgique ou une éco-anxieuse, à sa manière. Elle a souffert de voir sa petite sœur malade de chaleur en plein mois de juin ou voir ses parents multiplier les barbecues au gré des promotions du boucher. Ou un proche prendre prendre l’avion pour trois jours de vacances. « J’ai du mal à imaginer avoir des enfants. Cela m’attriste énormément », avoue-t-elle. « Mais toi, tu vas vivre ! Il faut que tu transformes ton mental en action positive », lui conseille Marie-Marguerite, qui évoque ses propres traumas : « Le fait de perdre un enfant autrefois m’a donné encore plus envie de me battre. »
Inspiration chrétienne, approche laïque
Angoisses existentielles, conflits familiaux, harcèlement, scarification, anorexie… Les thématiques qui amènent les jeunes (des filles en majorité, les garçons osant moins pousser la porte) à ToutJourLà (TJL) sont nombreuses. D’inspiration chrétienne, soutenue par le diocèse, l’association se veut néanmoins d’approche laïque, sans critères distinctifs de confession ou d’origine. « Emmanuel Langard Royal, mon binôme haut-rhinois, est aumônier, mais il ne se présente pas comme prêtre », explique Marie-Marguerite Ancel. « Ce n’est pas pour cacher mon métier ! » précise l’intéressé. « Nos professions ne sont jamais évoquées avec les jeunes. On se présente comme des individus, à leur niveau. » Aucun sujet n’est tabou – y compris ceux éloignés des positions de l’Église catholique. « Nous accompagnons ainsi une jeune fille transgenre », relate Emmanuel Langard Royal.
Dans le Haut-Rhin, TJL épaule surtout la tranche des 13-18 ans, grâce à son implantation dans les collèges et lycées catholiques : Saint-Joseph de Rouffach, L’Assomption et Saint-Jean de Colmar, Jean XXIII et Jeanne d’Arc à Mulhouse… Dans le Bas-Rhin, elle touche plutôt les étudiants, via l’Université, la Maison de l’étudiant, le Foyer de l’étudiant catholique, l’École de management, l’IFSI, l’Institut de formation infirmier… Mais ils viennent parfois de plus loin, comme cette jeune Ukrainienne accueillie en anglais.
« On nous dit d’être fraternels… Tu parles Charles ! »
La petite vingtaine d’écoutants reçoivent à Strasbourg dans leur bureau du centre-ville, rue de L’Arc-en-Ciel, à Mulhouse à la paroisse Saint-François ou à la paroisse Sainte-Marie. « Ce sont des rencontres, pas simplement du téléphone comme SOS Amitié ! » insiste la présidente.
TJL veut s’inscrire dans un maillage thérapeutique, entre familles, profs, infirmières et psys. Elle s’est adjoint le soutien d’une généraliste mulhousienne, le Dr Guillosson. Les écoutes peuvent mettre au jour des faits graves – quatre signalements et une plainte à la brigade des mineurs en 2022. Le milieu favorisé de la plupart des ados entendus n’y change rien : on est fragile entre 13 et 25 ans. « J’étais dix ans dans l’événementiel du diocèse. On voyait arriver des jeunes mal… Je me suis dit : il faut faire quelque chose », se souvient Marie-Marguerite Ancel, chatouillant le discours parfois lénifiant de l’Église catholique : « On nous dit d’être fraternels… Tu parles Charles ! »
Une de ses principales fiertés ? Quand les anciens écoutés deviennent eux-mêmes écoutants, comme une fidèle de son équipe. Prochain projet : des opérations de repérage du mal-être adolescent dans les cours de collèges, en partenariat avec la CEA. « Cela a déjà été expérimenté en Allemagne, avec des psys dans les cours d’école », assure la présidente. On les appelle les écoutants « mine de rien ».
(*) Le prénom a été modifié.
Association ToutJourLà ✆ 06 15 21 89 99. www.tjljeunes.com
TJL
Il en est parfois des acronymes comme des onomatopées,
comme des cris dans la nuit, comme des bouteilles à la mer.
Voyez tous ces « SOS » tagués sur le sable par des naufragés en quête de la moindre espérance.
Entendez tous ces « Mayday, Mayday, Mayday » lancés par des explorateurs en perdition.
Au loin, résonne, à jamais, leur « Venez m’aider, m’aider, m’aider… » originel.
Sachez qu’il en va de même pour « TJL ».
Le sigle est devenu signe et le signe est devenu symbole.
Le signifiant a pris le pas sur le signifié, au point de laisser le sens premier en accoucher des nouveaux.
Tout est question de maïeutique :
Paroles qui, au creux du ventre, se cachent trop longtemps.
Paroles qui, désormais, cherchent à naître.
Paroles qui, soudain, respirent profondément.
Paroles qui, enfin, ne baissent plus les yeux.
Paroles qui, peu à peu, s’affranchissent.
Paroles qui, au creux du cœur, se « TJlisent ».
Et que Tombent sur tes Joues des Larmes de paix.
Et que les Tabous soient à Jamais Levés.
Ne laisse plus le Temps Jauger la Lumière.
Ne te laisse se Taire la Justice qui Libère.
TJL : Tav, Yod, Lamed.
La parole, jusqu’à la dernière lettre de l’alphabet.
La parole, jusqu’à tracer la première lettre du nom de Celui qui ne se dit pas.
La parole, jusqu’à la dernière lettre de la Torah.
Pmg 12/08/2023